L'employée aux écritures

le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735

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"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux

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Deux araignées sur un parquet néerlandais

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Depuis que je les épingle ici à chaque fois que j’en croise une (*), c’est notre septième rencontre, et cette fois elles sont deux, mère et fille, araignées de bronze sculptées par Louise Bourgeois en 2003. Celles-ci m’attendaient la semaine dernière au Kunstmuseum de La Haye, musée magnifique, autant par son architecture comblant mon goût pour la brique (signée Berlage, 1934),  que par ses collections faisant la part belle (et bellement présentée) à Van Doesburg et à Mondrian.

J’ai en outre découvert dans ce musée, et recroisé quelques jours plus tard au Stedelijk Museum d’Amsterdam, le peintre Peter Alma (1886-1969) dont j’ignorais tout avant ce petit voyage aux Pays-Bas. Malheureusement peu de choses à glaner sur lui, là où nous cherchons en premier lieu désormais les réponses à toutes nos questions, mon lien est maigrichon.

Pour vous donner néanmoins une idée de son travail, je vous montre ses grévistes peints en 1927, à voir au Stedelijk Museum.

Le passage à Amsterdam, vide de ses touristes habituels, m’a aussi permis de visiter, juste à côté de la grande baignoire du Stedelijk, le “nouveau” musée Van Gogh. C’était donc la troisième fois que je m’arrêtais devant ses Tournesols : la première c’était à l’exposition de l’Orangerie au printemps 1972 (j’étais en 1ère, expo vue avec l’ami du lycée, j’ai toujours l’affiche dans un carton à dessin sous mon lit) et la deuxième c’était en 1979 à Amsterdam dans l’ancien musée Van Gogh, un petit voyage que j’avais organisé avec les amis retrouvés chaque été sur les chantiers de fouilles normands.

J’aime toujours l’éclat saisissant des Tournesols.

Mais comme aucune reproduction, jamais, quelqu’en soit le pointu technologique ne rendra la luminosité du bouquet offert par Van Gogh, je préfère vous montrer, moins attendu, son portrait d’un contrebassiste que je crois n’avoir jamais rencontré auparavant. Je suis sortie du musée en ayant bien envie de revoir le film de Pialat et de lire la correspondance des deux frères, Vincent et Théo.

Et à propos des deux frères Van Gogh il y a ce projet de monument leur rendant hommage du sculpteur Ossip Zadkine que l’on peut voir dans une niche du jardin de sa maison-atelier de la rue d’Assas à Paris, qui m’émeut follement. L’enlacement fraternel, le bronze si tendre.

(*) Pour retrouver les autres araignées de Louise prises dans la toile de L’employée aux écritures, il suffit de saisir “araignée” dans le module de recherche en haut à droite de l’écran, et vous irez vous promener avec elles à Washington, Bilbao, Beacon… Bon voyage.

juil 13, 2021

Je me souviens d’Eliane Victor et de ses “femmes aussi”

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Quand en mars dernier Elizabeth Legros-Chapuis m’a proposé d’écrire quelques choses pour le numéro thématique “Femmes au travail” de la revue de l’Association pour l’autobiographie (dont je suis membre) La Faute à Rousseau, j’ai tout de suite pensé à l’émission d’Eliane Victor Les femmes aussi. Le numéro en question, n° 78, juin 2018, vient de paraître et je me réjouis de figurer, en très bonne compagnie, à son sommaire. Avec l’accord d’Elizabeth, je mets en ligne ci-dessous mon texte, augmenté de quelques liens et en espérant que cela vous donne envie de vous procurer le numéro entier qui vous donnera envie d’explorer toutes les publications de l’APA et d’y adhérer !

Je me souviens que, pour la plupart, Les femmes aussi chez qui nous invitait Éliane Victor, travaillaient. Éliane Victor, l’épouse de Paul-Émile, dotée à nos yeux d’une indiscutable autorité d’exploratrice. Un soir par mois, à 20h30, quatre chaises côte à côte, mère et filles serrées en demi-cercle autour de la table prestement débarrassée des reliefs du dîner, face au poste de télévision. L’homme de la maison réduit au silence : la légitimité du nombre comme celle du sexe est avec nous. L’ORTF diffuse aussi Le magazine féminin hebdomadaire de Maïté Célérier de Sanois mais ses leçons de cuisine, de couture et de beauté, non merci. La seule émission qui a des choses à nous apprendre est celle d’Eliane Victor. Motus et bouches cousues dès le lancement du générique jazzy : un cercle blanc sur fond noir se remplit d’images, l’Homme de Vitruve bien carré dans son rond puis une Ève toute fine pomme en main, avant que surgissent les visages du jour. Après 1968, nouvelle version sur fond de grosse pomme désormais croquée. Nous les yeux écarquillés, à l’affût : la vie des autres c’est comment ? Mieux ? Pire ? Pareil ?

Un demi-siècle plus tard, installée salle P à la BnF, je visionne des émissions de la série Les femmes aussi – 65 ont été produites entre 1964 et 1973. Je repère une thématique « travail » dominante dans le tiers d’entre elles environ en me fiant aux titres et aux mots clés du catalogue mais le sujet peut être évoqué incidemment dans celles centrées sur le divorce, le mode de vie des couples ou le vieillissement. Aujourd’hui me frappent les noms des réalisateurs, détails sans importance quand défilait le générique de fin qui nous renvoyait à nos propres vies de femmes aussi. Des noms, comme Jacques Krier ou Maurice Failevic, que je sais maintenant ceux des plus prompts à placer leur caméra là où ça fait mal. Sans surprise, peu de réalisatrices : cinq émissions seulement et à l’exception de Nadine Marquand devenue Trintignant, je ne crois pas les avoir recroisées (Annie Aizieu, Colette Djidou, Lyse Bloch). Outre ceux, attendus, de monteuses et de script girls, les quelques autres noms féminins qui défilent sont ceux de célébrités à qui Eliane Victor fait, le temps d’une émission, jouer les intervieweuses ou écrire un commentaire ; Simone Signoret et Françoise Mallet-Joris en sont.

La série Les femmes aussi dresse des portraits de travailleuses dans des émissions consacrées à un métier ou conjugue les témoignages recueillis dans divers milieux professionnels pour traiter de questions transversales comme l’inégalité des salaires masculins et féminins, le difficile retour à l’emploi des mères qui l’ont quitté pour s’occuper de leurs jeunes enfants ou encore le départ en retraite. Des émissions transversales habiles à croiser paroles des intéressées et chiffres – ceux de la démographie comme ceux des revenus et du coût de la vie – pour percer à jour les insuffisances de la formation professionnelle des femmes ou l’étroitesse du marché de leur emploi confinant la plupart à quelques secteurs – textile et électronique pour les ouvrières, emplois de bureau à base de sténo-dactylographie. Moi je ne me souvenais que des « émissions portraits » faisant la part belle à l’objet du travail-même, à ses  heures, à ses lieux et à ses conditions. Casque sur les oreilles devant mon écran, je scrute les visages, écoute les voix, m’étonne des âges des intervenantes auxquelles je donnerais souvent dix ans de plus : effet du noir et blanc ou effet de vies usantes appuyé par la caméra ?

Travailleuses hors d’âge, ces septuagénaires, 71, 73, 76 ans, trimant à l’aube au ménage de bureaux, de magasins ou de gares ; heureuses quand le premier métro leur épargne la traversée de la ville à pied. Trop vieilles pour faire l’affaire de particuliers mais pas celle de sociétés de nettoyage. À demeure chez des particuliers, les bonnes espagnoles s’activent, comme Esperanza, 21 ans, fille de pêcheur galicien. Des jeunes femmes qui gravissent, vannées, 12 heures de corvées dans les jambes, les escaliers de service du 16e arrondissement pour regagner leurs chambrettes à lucarne perchées aux 7e ou 8e étages. Infirmières à l’Hôtel-Dieu, Paule, déjà grand-mère mais séparée de son mari, et Simone, célibataire qui pourrait être sa fille, s’épaulent, font de leur mieux, ne comptent pas leurs pas dans de vastes salles communes logeant à la même enseigne souffrances physiques et vieillesses miséreuses. Toujours à la merci du mépris de leurs hiérarchies et toujours à faire avec des économies hospitalières de bouts de chandelles. Des soins, à son cabinet ou au domicile de ses patients, cette jeune femme médecin de 28 ans, qui s’installe, seule avec sa fille de 7 ans, dans la campagne charentaise en prodigue aussi. Journées à rallonge, appels de nuit, 200 kilomètres de routes de campagne sillonnées par jour. Abnégation et solitude assumées. Débuts à la campagne aussi pour Renée, institutrice en Ardèche, qui a connu son époux à l’École normale. Lui exerce en collège à 25 km du village perdu et moribond où ils vivent dans des conditions spartiates juste au dessus de la classe unique dans laquelle elle enseigne ses cinq élèves. Femmes de ménage, femmes soignantes, femmes enseignantes : registre connu des « vocations » féminines assignées. J’ajouterais bien à la galerie, Micheline, 30 ans, un mari ouvrier, six enfants de 5 mois à 11 ans, mère au foyer qui n’arrête pas de 5h30 du matin à 22h30, et qui laisse quasiment sans voix Françoise Mallet-Joris venue l’interviewer dans son trois pièces des HLM de Nanterre.

Heureux contrepoints à ces portraits de « travailleuses contraintes », assez déprimants, quelques autres rencontres se font sur des sentiers moins battus. Ainsi Gisèle, 33 ans, mariée, 3 enfants, ingénieure en béton armé, diplômée de l’École Supérieure des Travaux Publics – deux filles et 140 garçons dans sa promotion -, pas toujours la bienvenue et dont on guette les faux pas sur les chantiers qu’elle pilote ; casquée, bottée, Gisèle, inflexible, résiste. Ou encore ces trois chercheuses du domaine biomédical, attachées au CNRS ou à l’INSERM, qui ne conçoivent pas leurs vies sans la recherche, même si le salaire passe intégralement dans les frais de gardes d’enfants, même sans espoirs de faire carrière et même quand l’entourage ne comprend pas qu’on s’accroche de la sorte. Et encore ces trois musiciennes, violoncelliste, altiste, harpiste, à trois stades de leurs carrières. Je me souvenais très bien du portrait de la bergère, Martine, traductrice-interprète reconvertie via la bourse de la vocation et l’école de la Bergerie nationale de Rambouillet, suivie, rayonnante, en transhumance avec ses 300 brebis. J’avais 15 ans en 1970 lors de sa diffusion et je ne voyais le salut que par les livres et dans les bibliothèques, alors un choix pareil, je n’y comprenais rien. J’avais très bien compris en revanche, mois après mois devant Les femmes aussi, que la course d’obstacles menant – éventuellement – vers l’autonomie dans un métier choisi, demandait du souffle, beaucoup de souffle.

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juin 28, 2018

En passant par la rue Poulletier

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Passant hier par la rue Poulletier, dans l’île Saint-Louis, pour rejoindre sur le quai d’Anjou l’hôtel de Lauzun où se tenait le colloque Paris et ses peuples : sociabilités et cosmopolitismes urbains au siècle des Lumières, au numéro 5 bis, je repère cette porte verte, peinte de frais,

et m’émeut en déchiffrant l’inscription au fronton, Dieu merci conservée,

parce que les écolières de la charité de la paroisse Saint-Louis-en-l’Ile et leurs maîtresses (des soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, dans la place depuis 1658), je ne connais qu’elles. Je les ai tellement fréquentées, à fureter dans leurs archives, quand j’écrivais ma thèse sur “L’éducation des filles à Paris au XVIIIe siècle” ! Il était 9 heures du matin quand j’ai pris ces photos et je n’ai croisé personne, ce n’était par leur heure : les écolières de la charité venaient là de 8 à 11 le matin et de 2 à 4 l’après-midi en hiver, de 2 à 5 en été. Un décalage horaire saisonnier pour ne pas livrer les fillettes à la nuit trop noire. Principe de précaution (déjà).

Deux classes dans l’école : La première sera composée d’enfants d’environ sept ans et au-dessous auxquelles on apprendra les éléments du catéchisme, à connaître les lettres, à épeler et à former les lettres. La deuxième des filles au-dessus de cet âge, dans laquelle on apprendra le catéchisme, à lire en français et en latin, à écrire et à compter tant aux jetons qu’à la plume. Un programme, édicté par le Règlement pour l’école de charité des filles de Saint-Louis-en-l’île imprimé chez Josse en 1713, auquel souscrit le curé de la paroisse quand il demande à la maison mère des Filles de la Charité de lui envoyer une nouvelle institutrice : J’espère que vous nous choisirez une fille habile et entendue, qui puisse montrer à nos enfants la lecture et l’écriture avec l’arithmétique pour les pouvoir apprendre à compter et à jeter. Je ne vous parle pas de catéchisme et des instructions chrétiennes car vous savez bien que c’est ce qui doit marcher avant toutes choses (1716, AN S 6160).

Quant aux fillettes, même si le Règlement, en son article IX, précise On ne recevra à l’Ecole de charité que les filles des Pauvres et les écolières seront exclues lorsque les parents auront le moyen de les mettre aux autres écoles qu’à celle de Charité ce ne sont tout de même pas les plus démunies du quartier : tout simplement parce qu’il faut que la subsistance familiale puisse se passer, au moins temporairement, de l’appoint du menu gain d’un travail enfantin.

Je n’avais pas l’usage quotidien de la photographie, qui est devenu le mien grâce aux prodigieux outils dont nous disposons désormais, quand je travaillais sur ma thèse. Aussi, les traces dans la ville des lieux que je visitais alors “en archive” je ne les ai jamais collectées. Mais il n’est pas trop tard pour le faire et la prochaine fois que je passe à l’angle des rues de Vaugirard et Bonaparte, je photographie les quatre colonnes du jardin des filles de l’Instruction chrétienne que j’ai à l’oeil depuis longtemps.

Additif : la porte avant repeinture est à voir dans le billet Oublier Paris #69, complément, savamment illustré comme toujours, de Piero de Belleville que L’employée aux écritures remercie et félicite pour son espièglerie.

mai 20, 2017

Maisonnées 1911 : à La Chatonnière

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Les recenseurs de 1911 ont commencé par visiter les maisons du bourg et puis s’en sont allés battre la campagne ; la commune est vaste. Le mont Margantin, 262 mètre d’altitude, correspond à la section C de leur découpage qui va de A – le bourg – à L. Le village de la Chatonnière, proche du sommet du mont, où vivent mes grands-parents maternels s’atteint par une chalière, partant de la route dite de Montgaucher, elle même s’embranchant sur l’axe Domfront-Céaucé.

A la Chatonnière où j’ai connu trois maisons habitées (dont deux mitoyennes, même corps de bâtiment coupé en deux) les recenseurs n’en comptabilisent alors que deux : la n°323 du ménage n°336 des Morin – c’est à dire nous – et la n°324 du ménage n°337. Germaine Louise Désirée, ma mère, ne naîtra là qu’en février 1913 mais la maisonnée Morin est déjà bien peuplée en 1911 ; tellement de monde que le plus simple c’est encore d’en passer par un tableau. Je reprends les colonnes du bordereau pré-imprimé : n° des individus, nom de famille, prénom, année de naissance, lieu de naissance, nationalité, situation par rapport au chef de ménage, profession, et une dernière colonne qui, elle, ne concerne pas tout le monde mais Pour les patrons, chefs d’entreprise, ouvriers à domicile : écrire Patron ; Pour les employés ou ouvriers indiquer le nom du patron ou de l’entreprise qui les emploie.

1 Morin Auguste 1872 Céaucé Fr Chef Cultivateur propriétaire Patron
2 Friloux Marie 1885 femme néant
3 Morin Maria 1906 fille
4 Morin Maurice 1907 fils
5 Morin Auguste 1910
7 Colin Anne 1850 mère
8 Leray Eugène 1893 Avrilly domestique Morin
9 Casse Pierre 1900 Paris nourrisson néant

De toute cette maisonnée je n’ai connu que mon oncle Maurice, pas Maria qui meurt encore dans l’enfance en 1917 ni Auguste qui meurt je ne sais quand ; quant à leur soeur Léa, née en 1911, que je n’ai pas connue non plus, pourquoi n’est elle pas là ? Une négligence des agents recenseurs ? Mais au Pont Perrin, François qui n’a qu’un an est bien inscrit sur le bordereau. La famille compte donc déjà, selon moi, quatre enfants et cinq sont encore à naître : Germaine et Madeleine chez les filles, André, Prudent et Constant chez les garçons.

A la Chatonnière, mon arrière-grand-mère Anne Colin cohabite avec le ménage de son fils Auguste. Si sa santé le lui permet elle doit bien donner un coup de main à sa belle-fille qui ne manque pas d’ouvrage avec la ferme et déjà quatre enfants en bas âge. Dans la deuxième maison visitée, sans doute la deuxième moitié de la bâtisse (n°324, ménage 337) vivent aussi des Colin : François Colin né en 1852 à Céaucé chef de famille cultivateur fermier patron et Sidonie Seigneur née en 1848 à Saint-Fraimbault son épouse. Parenté entre les deux ménages sans doute, mais pas si évidente à établir, je creuserai la question plus tard, en toute première instance je me heurte à un excès de “François Colin” dans les registres d’Etat civil.

Ce que je tente d’éclaircir dès maintenant, c’est l’identité du “nourrisson” Pierre Casse – 11 ans tout de même, voire 12 parce que de Pierre Casse né en 1900 à Paris, je suis formelle (après avoir défilé deux fois les tables décennales des naissances des vingt arrondissements parisiens) : il n’y en a pas, le seul rencontré est né en 1899. Et je ne voudrais pas trop m’avancer mais je pense que c’est bien de lui qu’il s’agit. Deux indices : enfant d’une fille-mère (comme Paul Dumas au Pont Perrin) et une suite de parcours de vie resté normand.

J’incline donc à penser que Pierre Casse serait Pierre Marius Casse né le 15 août 1899 à Paris 6e arrondissement, 89 rue d’Assas, c’est à dire à l’hôpital Tarnier, fils de Fanny Casse, 25 ans, couturière, domiciliée 13 rue Breda (de nos jours rue Henri-Monnier), dans le 9e, et de père non dénommé. Ce qu’ajoutent à notre connaissance les mentions marginales : reconnu à la mairie du 9e le 28 août 1899 (j’ai vu l’acte : uniquement par sa mère), marié à Villiers le Sec (Calvados) le 15 octobre 1927 avec Louise Fernande Resina Sevestre (dont il divorce le 27 juin 1957) à Caen, ville où il décède le 1er décembre 1975.

Mais alors, d’où vient l’erreur sur l’année de naissance du petit Parisien placé à la campagne ? Quant au qualificatif de “nourrisson”, le désignant certes comme extérieur à la famille, il étonne un peu pour un enfant “déjà grandet” aurait dit ma mère (dont je n’ai pas souvenir qu’elle ait jamais évoqué la présence d’enfants mis en nourrice chez ses parents à la Chatonnière).

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avr 21, 2017

Rue Flatters, Paris Ve arrondissement

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Depuis que j’habite le quartier (quatre ans à la fin de ce mois) je me fais souvent le plaisir, purement gratuit, d’emprunter la rue Flatters. Je l’emprunte à Nathalie Sarraute et je la lui rends, en une sorte d’hommage. Rue d’Enfance, courte et coudée presqu’à angle droit, entre Boulevard de Port-Royal et rue Berthollet ; porteuse de mystère au coin de la rue malgré ses 103 mètres de long (tout compris) et 12 de large.

Une rue parfaite, à la mesure de jambes de toute petite fille. Nathalie a 2 ans quand sa mère Pauline, arrivant de Russie après son divorce s’installe, en 1902, au 3 rue Flatters avec Nicolas Boretzki, qui deviendra son second époux, et la fillette. Les trois passent-là 4 ans – Nathalie fréquente l’école maternelle de la rue des Feuillantines – puis repartent s’installer à Saint-Petersbourg. C’est fini l’enfance rue Flatters, c’est court comme la rue à l’aune de la longue vie de l’écrivain.

“[...] petit appartement de la rue Flatters à peine meublé et assez sombre, mais elle [Pauline] ne semblait pas le remarquer et je n’y faisais guère attention [...]“. On n’en saura pas plus, si ce n’est que la petite aimait, les soirs où des amis rendaient visite à sa mère et à son beau-père, écouter les conversations adultes jusqu’à sombrer dans le sommeil et qu’on l’emporte.

L’appartement de la rue Flatters reste l’appartement heureux de référence, en particulier quand Nathalie revient à 9 ans vivre à Paris, cette fois avec son père, sa nouvelle épouse et la demie-soeur que le couple lui donne (ou plutôt lui impose), rue du Loing puis rue Marguerin dans le XIVe arrondissement. Des petites rues compassées, menant au parc Montsouris – “son seul nom me semblait laid, la tristesse imbibait ses vastes pelouses” – de quoi faire amèrement regretter à l’enfant les rues du Ve. “Il est curieux que ces mêmes maisons, quand j’habitais rue Flatters, m’aient paru vivantes, je me sentais protégée, enveloppée doucement dans leur grisaille jaunâtre… et elles conduisaient aux amusements, à l’insouciance des jardins du Luxembourg où l’air était lumineux, vibrant“.

Et quelques pages d’Enfance plus loin l’auteure oppose encore “cette discrète, presque tendre bienveillance que répandaient sur moi la rue Flatters ou la rue Berthollet” au caractère étriqué, mesquin, sans vie, des rues du Lunain, du Loing et Marguerin. C’est peut-être cela que je vais puiser, quand j’encercle le discret pâté de maisons Port-Royal, Flatters, Berthollet, sa tendre bienveillance porteuse de l’empreinte de Nathalie Sarraute. Le 3 rue Flatters est aujourd’hui un hôtel : aller une nuit y dormir ?

Le collègue qui m’avait offert le folio d’Enfance au printemps 1986 (je date d’après la leçon inaugurale de Maurice Agulhon au Collège de France que nous avions écoutée ensemble, c’était dans ces jours-là) ne se doutait pas comme son petit cadeau me ferait bon et long usage.

Sources biographiques et texte cité : Oeuvres complètes de Nathalie Sarraute dans la Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1996.

Mesures de la rue : Nomenclature des voies publiques et privées, 8e éd., Paris, Imprimerie nationale – Hôtel de Ville, 1972.

avr 5, 2017

Lui et nous : à propos du “Carnet de notes 2011-2015″ de Pierre Bergounioux

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En février 2016 est paru aux éditions Verdier le quatrième tome du Carnet de notes de Pierre Bergounioux (j’en ai déjà parlé). Dans le n°72 de La Faute à Rousseau, juin 2016, disponible depuis quelques jours, je rends compte de ma lecture de ce bel ouvrage. Je remercie l’Association pour l’autobiographie qui publie cette revue de m’avoir proposé d’écrire à propos du travail de Pierre Bergounioux et de me permettre de reprendre mon compte rendu sur ce blog.

Au fil de quatre volumes de ses Carnets de notes, dix années de nos vies de lecteurs fidèles de Pierre Bergounioux ont absorbé trente-cinq années de la sienne, en une compression dont nous ne sortons pas indemnes. D’autant moins indemnes que des 12775 jours (et des poussières bissextiles) consignés, les 1825 derniers sont les plus sombres ainsi partagés avec lui. Les années 2011 à 2015 posent une lourde addition de douleurs et de deuils, l’âge avançant, bien sûr, puisque nous avons emboîté le pas de Pierre Bergounioux tout jeune trentenaire, prenant à bras le corps son métier de professeur de français en collège de banlieue parisienne et que le voilà, trente-cinq ans plus tard, retraité malgré lui d’une carrière bouclée in fine à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris où l’écrivain a enseigné la littérature de 2007 à 2014.

Le quatrième tome rompt avec le découpage du Carnet en tranches décennales qui a prévalu jusqu’au troisième. Une pagination de même ordre que celles des précédents, 1204 pages, ne donne à lire que cinq années[1]. Par un effet d’abîme, la décision et les modalités de cette rupture s’inscrivent dans le journal à l’occasion de divers échanges avec les éditrices. Le rythme de la « dactylographie » à l’ordinateur des notes, jetées manuscrites sur des cahiers en leur premier état, de leur envoi chez Verdier et de la correction des épreuves s’accélère (d’où quelques coquilles oubliées dont étaient exempts, me semble-t-il, les tomes précédents). La relation des jours tragiques de la fin de l’année 2015, au plan personnel « bergounien » avec la mort de la mère de l’auteur le 12 novembre et au plan collectif avec les attentats du lendemain, se vit, s’écrit, se corrige et se reçoit, chez le libraire en février 2016, en temps quasi réel.

Des années 1980 consignées sans projet éditorial ni souci du lectorat, à cette concordance acquise des temps du diariste et du lecteur, nous avons pris part à cette vie d’écrivain in progress. Dans la conscience, désormais présente, chez l’auteur de notre réception attentive – voire addictive – réside vraisemblablement la discrétion couvrant depuis 2009 les faits et gestes de certains proches soustraits à la relation du quotidien familial. Là n’est pas la moindre ambiguïté de l’entreprise, voulant garder trace de ce qui aura fait ses jours et son monde, Pierre Bergounioux entraîne avec lui celles et ceux de son cercle intime ainsi qu’une foule de connaissances, liées à ses jours originels corréziens ou au monde lettré parisien qu’il a rallié, que nous nous sommes appropriés. Mais ici comme là les rangs se clairsèment : « le monde que j’ai habité, s’absente » note-t-il apprenant la mort de François Maspero (mardi 14 avril 2015).

Géographiquement, la vie bergounienne garde entre 2011 et 2015 sa même bipolarité, partagée entre la Corrèze et la région parisienne, générant des allées et venues de l’une à l’autre, villégiatures rituelles d’avril et de juillet ou, de plus en plus fréquents hélas, départs dans l’urgence pour cause de problème familial. La Corrèze c’est Brive, la ville de l’enfance de l’auteur, où demeure encore en 2011 sa mère qui la quitte en 2012 pour une maison de retraite médicalisée proche du domicile de Pierre, son fils aîné, et les Bordes, lieu-dit de la commune de Davignac, maison de famille de son épouse où l’écrivain s’adonne  à ses activités de « sculpteur-ferrailleur ». La région parisienne c’est toujours Gif-sur-Yvette, où la maison que nous avons vue se construire en 1989-1990 a désormais besoin de travaux de réfection (on refait la terrasse, on change les fenêtres, on isole les combles, on change le ballon d’eau chaude), et Paris intra muros où appellent les cours aux Beaux-Arts et une infinité d’invitations littéraires et amicales. Entre les deux, des routes et leurs embarras (bouchons sur la N 306, la N118 ou l’A6) et le RER B, ses récurrents incidents d’exploitation ou « graves de voyageurs » qui ruinent tout emploi du temps, sans parler des voisins subis dans l’entassement des heures de pointe, ni des courants d’air sur les quais. Omniprésente et constante, mais encore plus prégnante dans les transports publics, l’angoisse éprouvée par Pierre Bergounioux à l’idée d’y être victime d’un malaise cardiaque ou lié à son hypertension, voire d’y finir ses jours, seul, sans prendre congé de sa chère Cathy.

D’octobre 2012 à novembre 2015 s’ajoute aux itinéraires habituels le passage quotidien à l’EHPAD de Saint-Rémy-lès-Chevreuse pour une visite à « Mam » et si le temps le permet une promenade dans le morne quartier pavillonnaire ; fauteuil roulant poussé par un fils désespéré par l’aphasie et la dépendance maternelles comme par le spectacle de la triste compagnie assemblée dans l’institution. Cette scansion journalière se superpose à la multitude de celles, hebdomadaires (provision de pain du dimanche matin), mensuelles (écumage de la brocante sur le parking du supermarché), semestrielles (rentrer et sortir les plantes fragiles en début et fin de saison), annuelles (se vacciner contre la grippe) etc. qui émaillent le Carnet, règlent la vie bergounienne comme du papier à musique. Les obligations d’ordre médical y surajoutent désormais leur propre rythme : analyses de contrôles, consultations des spécialistes, renouvellement des traitements à la pharmacie.

Au milieu de tout cela, la vie de famille et le travail. Les cours, les jurys d’admission et d’examens aux Beaux-arts, la lecture, la relecture et l’extraction des lectures, l’écriture. Ces années-là beaucoup de commandes, pré- et postfaces, contributions à catalogues et livres d’artistes ; également un important travail avec des cinéastes documentaristes, des conférences, des interviews et des interventions de colloques à répétition. Dans le labeur d’écriture, de poignants moments de découragement, liés au sentiment « d’épuisement du sujet » ; découragement qui atteint aussi parfois le sculpteur glaneur des rebuts de métal dans les casses de Corrèze, constatant qu‘il « sollicite la ferraille depuis trente ans et n’escompte plus de révélations » (dimanche 26 avril 2015).

Une sombre tonalité donc pour ces cinq années mais une fascination intacte du lecteur assidu depuis le premier Carnet de notes. Cet homme hors du commun qui a voué, à dix-sept ans, sa vie à l’étude, nous ressemble et qu’importe si les choses ne seront jamais égales par ailleurs. Dans le miroir tendu de ses jours ordinaires et de leurs accidents de parcours (y compris les plus triviaux comme ses démêlés électro-ménagers), nous nous reconnaissons et nous attendons, impatients déjà, la suite de cette somme autobiographique qui année après année se fait de plus en plus œuvre unique en son genre.


[1] Interrogé sur le doublement, de fait, du volume du Carnet lors d’une rencontre récente en librairie Pierre Bergounioux l’attribuait principalement à sa disponibilité plus grande du fait d’occupations professionnelles moins prégnantes.

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Continuer votre lecture sur ce blog par quelques autres articles dans lesquels il est question de Pierre Bergounioux :

Art de la jonquille chez Pierre Bergounioux : mise à jour 2016-2020

Un printemps bergounien malgré tout

Ouvrir l’année à Gif-sur-Yvette avec Pierre Bergounioux

Une jonquille par temps de chrysanthèmes (offerte par Pierre Bergounioux)

Tristesse des mois en -bre (selon Pierre Bergounioux)

Compression d’étés bergouniens

Jonquilles primeures à Gif-sur-Yvette : suite des Carnets de Pierre Bergounioux

“Vies métalliques”, rencontres avec Pierre Bergounioux

Enfin visibles à Paris : des ferrailles de Pierre Bergounioux

Mots de la fin (provisoire) du Carnet de notes 2001-2010 de Pierre Bergounioux

Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010, lecture in progress

Lecture en cours : Pierre Bergounioux, Carnet de notes 2001-2010

“Un concert baroque de soupapes”, Pierre Bergounioux sculpteur

Dans Les moments littéraires, Bergounioux

Histoire, littérature, sciences sociales – et Bergounioux

D’une page 48 de Bergounioux, et tout son monde est là

Couleurs Bergounioux (au couteau)

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juin 23, 2016

De la solitude de Guignol (et du réemploi des affiches)

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Toujours étonnée de croiser dans les rues de Paris, maintenant que j’y habite, ces affiches de spectacle de Guignol ambulant. Parce que je les associe plutôt à ma vie de banlieusarde – passages récurrents au parc de Maison Blanche à Clamart – ou de vacancière. Affiches de même formats et réemplois, jusqu’à délavage causé par les intempéries, pour passages, tout aussi récurrents mais au mois d’août, dans le champ au bas des pistes de ski de Molines où stationne aussi chaque été un cirque, quand l’immuable projection du film “Quand les marmottes se réveillent”, pareillement affichée les jours d’avant, se donne elle dans la grande salle à tout faire de la maison du boulanger. Des uns et des autres nous avons, en temps plaisant et utile, fait profiter nos enfants et une affiche du film consacré au réveil saisonnier des marmottes, dégrafée de sa porte de bergerie, envolée par le vent, a même longtemps décoré un mur de la maison normande vendue l’année dernière. Ce jour venteux, après la séance, à l’issue du  ramassage des affiches qui seraient mises partiellement à jour par collage d’un bandeau écrit à la main, au gros feutre indélébile et en capitales lisibles du bord des routes, indicateur des lieu, jour et heure de la prochaine étape, le compte n’avait pas été juste. Il en manquait au moins une.

Alors cette affiche de Guignol croisée hier, arrimée au mobilier urbain du trottoir de la rue des Lyonnais (Ve arrondissement), retient doublement mon attention. D’abord, comme d’habitude, parce que je m’étonne que ces troupes itinérantes montent leurs castelets éphémères dans une ville qui compte autant de théâtres de Guignol à demeure. Théâtres que, banlieusards, nous avons aussi pratiqués, celui du Parc Georges-Brassens en premier lieu, comme le plus accessible de chez nous et alors animé par une ancienne connaissance nancéienne de C.. Comme si on ne prêtait qu’aux riches. Et puis surtout parce que contrairement à l’illustration réemployée, prometteuse de belles réparties, Pinocchio ne sera pas là (enrhumé peut-être ?). Face au Mobilier national, Guignol ne partagera pas l’affiche : il donnera un one man show.

avr 19, 2015

Terminus frigo*

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Sur la face ventrale il y avait Nicolas Bouvier et Antonio Lobo Antunes et quelques heureux souvenirs de musées dans des villes comme Londres, Vienne, Lisbonne, Bruxelles, ou New York – assez récents ceux-là.

Sur le flanc, du moins le flanc visible, côté machine à café, le caro, caro Nanni se posant des questions sur La cosa, cette chose devenue indicible qui avait fait Parti il y a longtemps, entouré de billets souvenirs. Autant de petits instants de vie plaisants partagés dans des théâtres, le plus souvent de la Ville, du Rond-Point et, en voisins, 71 à Malakoff, ou diverses salles de concert et dont on était heureux de garder trace.

Je me souviens qu’une thèse de sociologie a été consacrée aux décors de frigos familiaux. Je contribue, avec ces images du nôtre saisies juste avant dislocation, à fournir en matériaux d’étude la poursuite de la recherche. Parce qu’il s’est avéré un dimanche récent (après courses du matin au marché et de la veille au supermarché) que l’entrebaillement de sa porte exhalait un souffle d’air chaud en lieu et place de la petite fraîcheur attendue. L’hypothèse d’une aggravation soudaine du réchauffement climatique écartée, je passe sur la visite du spécialiste envoyé par la maison mère de l’appareil, son diagnostic sans appel, la commande d’un successeur au frigo 1999-2012, la gestion à flux tendu de l’approvisionnement pendant une douzaine de jours et la livraison du frigo 2012-?

S’il est trop tôt pour évoquer le décor du nouveau venu dans la cuisine, sa ligne n’étant pas encore clairement affirmée, je soulignerai en revanche son heureux éclairage interne, désormais zénithal, sublimant le moindre pack de yaourts nature à 0% par un effet lumineux digne des meilleurs scénographes.

Je ferai part aussi de notre perplexité devant la documentation papier fournie en français, allemand, néerlandais et italien nous informant des caractéristiques principales de l’appareil et des précautions à prendre pour le mettre en service puis le conserver en état de marche jusqu’au terme que les directeurs de la société de consommation lui ont assigné. Le problème n’est pas celui d’un éventuel charabia auquel nous n’aurions rien compris, puisque la traduction en français depuis la langue originale de Goethe et du fabriquant nous a semblé très correcte. La version francophone est même tellement correcte qu’il y en a deux, trop rapidement prises pour des doubles, alors que deux discrètes mentions fr-FR et fr-BE distinguent les publics auxquelles les brochures s’adressent.

Leur comparaison rigoureuse met en évidence des différences sensibles entre modes de vie de cuisine et habitus familiaux de part et d’autre du Quiévrain. Deux exemples : la tentation de placer des canettes dans le congélateur semble ne titiller que les esprits de nos voisins belges, seuls à s’en voir dissuader, tandis que celle de s’asseoir dans un tiroir de congélation serait propre aux enfants français. Leurs parents sont en effet les seuls à être mis en garde sur ce point : les enfants belges, pas plus qu’italiens, ni allemands – d’après nos compétences linguistiques réunies – n’auraient l’idée d’un jeu pareil. Ouf, les miens ne sont plus de taille.

* Titre hommage au Terminal frigo de Jean Rolin bien sûr.

Filed under la vie tout venant
mar 27, 2012

Dublin, Dubliners, Dublinesca

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Découvrir Dublin, ce sera pour une autre fois (c’est convenu – consolation), ainsi en ont décidé les cendres…

Préparation pourtant soignée, avec Christine Weld et Fabrice Rozié, et je me réjouissais de parler et entendre parler là-bas de villes et de littérature, puisque la ville était le thème de ce 11e  festival franco-irlandais.

J’aurais parlé de tout ce que je lis de l’histoire et de l’invention littéraire de Paris sur les façades de ses maisons quand je marche quotidiennement dans la ville, de tous ces écrivains qui collent à mes basques.

Je me réjouissais aussi d’avoir l’occasion de tracer en lecture un parcours de découverte dans le cher Montparnasse monde et d’en montrer des images.

Et puis, de vive voix, j’aurais dit à Enrique Vila-Matas l’heureux moment passé à lire son récent Dublinesca, fourmillant de réflexions aussi réjouissantes et référencées que  le “Avoir une mère et ne pas savoir de quoi parler avec elle !” de la page 150 emprunté à la plume de l’écrivain tchèque (qui gagne à être connu) Vilém Vok. Un écrivain publié par le héros du roman, éditeur au catalogue estimé mais à la maison périclitée.

Toujours dans les parages, Joyce et Beckett, bien sûr, puisque la grande affaire c’est d’aller à Dublin LE jour où il faut aller à Dublin, mais jamais très loin non plus, parmi beaucoup d’autres, Paul Auster ou Edward Hopper (et Hammershoi aussi). Les villes autour de l’éditeur Riba grouillent de génies en tous genres, tandis que ses démons à lui le rongent de l’intérieur – sans parler du harcèlement exercé par son épouse et ses vieux parents, des gens qui “s’aiment depuis toujours, voilà précisément pourquoi ils se haïssent”.

Entre Barcelone, qu’habite le héros, Dublin, New York, Londres et Paris, les fils d’écriture se croisent et se recroisent jusqu’à tisser une toile qui n’attend plus qu’un bon moteur de recherche… Parce que l’éditeur retiré des affaires est devenu un peu hikikomori sur les bords.

Dublinesca n’a fait que croître et embellir mon envie d’aller à Dublin, mais au terme d’une journée passée à scruter le nuage, j’ai fini par me résoudre ce soir à défaire mon bagage et ranger ma tenue de voyage.

avr 16, 2010

Sous prétexte de question d’appendicite, aller à Gabrielle Roy

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Parmi les questions récurrentes posées à L’employée aux écritures par les moteurs qui cherchent pour vous, à côté de toutes celles relatives à l’art du pliage des serviettes, il y a celle de l’appendicite.

Ou plus exactement des suites de l’appendicectomie, du normal et du pathologique, de ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire et à quel moment, avec quelles précautions, dans le cours de la convalescence. La précision clinique de certaines de ces interpellations me valant parfois des haut-le-coeur, je préfère ne pas m’arrêter à y répondre.

Heureuse, en revanche, que ces histoires d’appendicite m’amènent à évoquer une de mes lectures récentes les plus marquantes, celle du récit autobiographique de Gabrielle Roy La détresse et l’enchantement (éd. Boréal, 1984) acheté à la Librairie du Québec, rue Gay Lussac, à deux pas de mon bureau. Et comme je faisais remarquer au libraire que cet écrivain était bien à l’honneur dans son rayon littérature, il a souligné que Gabrielle aurait eu 100 ans l’année dernière, puisqu’elle est née, à Saint-Boniface au Manitoba, en 1909 (et morte à Québec en 1983).

Au Manitoba, sa famille lutte pied à pied pour exister dans sa langue – française -  une langue méprisée, cernée d’une culture autre, comme pour joindre les deux bouts. Pour en apprendre plus à son propos, je vous renvoie à cette page de François Bon qui en son Tiers Livre, de son séjour québecois, a très bien fait les choses pour donner envie de la lire. Merci à lui.

Le rapport avec l’appendicite j’y arrive : son récit d’enfance s’ouvre, à quelques pages près, sur l’opération subie à l’âge de 11 ans, événement fondateur dans la conscience qu’elle prend du monde – différent du sien – qui l’entoure. Il faut dire que La détresse et l’enchantement commence par ces mots : Quand donc ai-je pris conscience pour la première fois que j’étais, dans mon pays, d’une espèce destinée à être traitée en inférieure ? Et que le séjour à l’hôpital et l’opération que les parents se saigneront aux quatre veines pour payer est décisif dans cette perception.

A 11 ans comme Gabrielle et dans le même sentiment que mon appréhension du monde progressait de façon fulgurante du fait de cette semaine passée en clinique, j’ai été opérée de l’appendicite. Comme s’il fallait en passer par cette anesthésie générale, au réveil alors tellement pénible – c’est mieux dosé maintenant -, pour que la conscience, dans sa totalité, s’éveille enfin. L’anesthésie générale, comme préalable à un réveil général, une sorte  d’ébrouement qu’on ne serait jamais allé chercher aussi loin.

Une expérience partagée, point commun entre Gabrielle et moi, parmi de nombreux autres apparus au fil de ma lecture. Par exemple : le fait que nos mères ayant déjà de nombreux enfants et surtout des filles, nous aient mises au monde au même âge tardif exactement, en terminant ainsi avec nous de leurs maternités. Et tout ce que cette position particulière dans la fratrie génère comme conséquences.

(D’ailleurs, pour en revenir à l’appendicite, ma crise s’était déclenchée en l’absence de mes parents, et mes soeurs aînées avaient pris les choses en main, faisant le nécessaire dans l’urgence qui s’imposait).

Ces opérations, qui se sont raréfiées me semble-t-il – aucun de nos fils n’y est passé -, cassaient l’ordinaire de nos jours et rompaient la marche de nos scolarités. Ce temps là, qui ne passait pas pareil, perdurait dans une dispense de gymnastique. Et malgré cela, phobie durable que ma cicatrice ne se rouvre.

A la clinique, pour la première fois de ma vie j’ai bu du thé, et alors que le personnel se désolait de devoir me faire partager une chambre d’adulte, quand je m’en réjouissais, fuyant comme je pouvais toute sociabilité enfantine, je nouais là une relation prolongée avec cette jeune femme dont il avait fallu interrompre une grossesse extra-utérine. Tous mes efforts pour me représenter cette douleur échouaient contre ma frayeur à l’idée qu’un enfant puisse ainsi prétendre pousser à l’extérieur de soi. Contre soi.

De nos ventres, de ce qu’il fallait parfois en extirper, de l’ordre social qui régnait autour de ces interventions, de ce qui pouvait s’en dire, de ce qui devait s’en taire : autant de leçons de vie accélérées.

Pour en revenir à Gabrielle Roy, que je continuerai à lire en allant chercher ses romans, (le libraire du Québec n’a pas fini de me voir), cette premier lecture me laisse – au-delà de tellement de reconnaissances -, grande ouverte une fenêtre avec vue sur le Manitoba. Je n’avais, jusqu’à la lire, pas la moindre idée de ce à quoi pouvait bien ressembler le Manitoba, de ce qu’on pouvait éprouver à vivre là-bas. Je mesure maintenant à quel point cela manquait dans mon paysage.

fév 20, 2010

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