Parfois
mais elle marche surtout beaucoup.
le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
Parfois
mais elle marche surtout beaucoup.
De l’enfance et de la jeunesse de mon père je connaissais les noms de lieux “La Broutière” et “Les Aunaies” mais je n’y associais pas “Le Pont Perrin”, pour moi simple toponyme sur la carte d’Etat Major punaisée sur un mur de cuisine dans notre maison (d’autrefois) dans cette campagne. C’est pourtant au Pont Perrin que les agents recenseurs de 1911 enregistrent les parents et le frère aîné d’Amand Sonnet, François. Mais pas lui : Amand est né le 13 avril 1911, ils ont dû passer en début d’année, avant cette date. Le recensement de 1911 est numérisé sur le site des Archives de l’Orne, avec ceux établis de 5 ans en 5 ans depuis 1836.
La famille est incomplète, il y manque Amand, de même que ses cadets, un frère, Pierre, et deux soeurs Louise et Thérèse. La liste établie section F de la commune de Céaucé, au Pont Perrin, maison 514, ménage 527, comprend seulement mes grands parents, François Sonnet né en 1878 à Céaucé, cultivateur, son épouse Marie Vannier née en 1886 à Céaucé, profession “néant” – elle a bien dû trimer sur la ferme elle aussi mais son travail compte pour du beurre -, leur fils aîné François (comme le père) né en 1910 à Céaucé, que je n’ai pas connu, et leur jeune domestique Paul Dumas né en 1898 à Paris.
Paul Dumas, mon père en gardait le souvenir d’un garçon plus âgé que la fratrie, mais pas tant que cela, échappant à l’obligation dominicale pesant sur les enfants de la maison de se rendre à l’église pour assister non seulement à la messe mais encore aux Vêpres. Un jeune homme au sort enviable, au moins le dimanche après-midi. J’évoque ce souvenir paternel dans Atelier 62. L’état-civil parisien m’apprend que Paul Dumas a vu le jour quasiment en face de l’immeuble d’où j’écris ce billet, puisqu’il est né à la maternité de Port-Royal, le 28 février 1898. L’acte est enregistré à la mairie du XIVe arrondissement (comme ceux de nos fils) le 2 mars 1898. Fils de Marie Dumas, 25 ans, femme de chambre rue Montorgueil, 84, et de père non dénommé : un fils naturel placé à la campagne.
Comment le jeune Paul arrive de la rue Montorgueil au Pont Perrin – y était-il déjà en nourrice ? -, je l’ignore. Les mentions marginales de l’acte de naissance précisent qu’il s’est marié à Céaucé le 5 mai 1928 avec Marie Eugénie Françoise Fournier et qu’il est décédé à Domfront le 16 janvier 1987, soit quelques mois après mon père (dans le même hôpital ?). Mais il me semble que les deux hommes s’étaient perdus de vue depuis longtemps.
Au village du Pont Perrin en 1911, après avoir visité les Sonnet, les agents recenseurs officient encore dans deux maisonnées. Maison 515, ménage 528, ils trouvent la veuve Troussier, née en 1839 à Céaucé, sans profession, sa fille Marie née en 1863 à Céaucé, sans profession non plus, et sa petite-fille Prudence née à Loré en 1906. C’est un ménage exclusivement féminin et je me demande de quoi ces femmes vivaient. Maison 516, ménage 529, là que des hommes : Pierre Lory né en 1861 à Domfront, cultivateur, et ses deux domestiques, Emile Martel né en 1881 à Céaucé, Henri Lefaucheux né en 1895 à Céaucé.
J’espère que tout ce monde là s’entendait bien et s’entraidait quand c’était nécessaire ; ils étaient un peu loin de tout.
Ce billet prolonge mon Exercice d’égo-anthroponymie et je crée la catégorie “généalogiques” pour regrouper ce genre de billets. Et je le publie ce 13 avril jour anniversaire de la naissance d’Amand Sonnet, comme un clin d’oeil.
Si vous avez une très bonne vue vous repérerez sur cette capture de Google map le pont dit Perrin au dessus du ruisseau de la Havardière et le groupe de maisons constituant aujourd’hui le hameau. C’est juste à la limite de l’Orne et de la Mayenne.
A tout prendre, j’aime encore mieux que l’on me dise comme ceci
plutôt que comme cela
que je ne dois pas marcher sur la pelouse.
Depuis que j’habite le quartier (quatre ans à la fin de ce mois) je me fais souvent le plaisir, purement gratuit, d’emprunter la rue Flatters. Je l’emprunte à Nathalie Sarraute et je la lui rends, en une sorte d’hommage. Rue d’Enfance, courte et coudée presqu’à angle droit, entre Boulevard de Port-Royal et rue Berthollet ; porteuse de mystère au coin de la rue malgré ses 103 mètres de long (tout compris) et 12 de large.
Une rue parfaite, à la mesure de jambes de toute petite fille. Nathalie a 2 ans quand sa mère Pauline, arrivant de Russie après son divorce s’installe, en 1902, au 3 rue Flatters avec Nicolas Boretzki, qui deviendra son second époux, et la fillette. Les trois passent-là 4 ans – Nathalie fréquente l’école maternelle de la rue des Feuillantines – puis repartent s’installer à Saint-Petersbourg. C’est fini l’enfance rue Flatters, c’est court comme la rue à l’aune de la longue vie de l’écrivain.
“[...] petit appartement de la rue Flatters à peine meublé et assez sombre, mais elle [Pauline] ne semblait pas le remarquer et je n’y faisais guère attention [...]“. On n’en saura pas plus, si ce n’est que la petite aimait, les soirs où des amis rendaient visite à sa mère et à son beau-père, écouter les conversations adultes jusqu’à sombrer dans le sommeil et qu’on l’emporte.
L’appartement de la rue Flatters reste l’appartement heureux de référence, en particulier quand Nathalie revient à 9 ans vivre à Paris, cette fois avec son père, sa nouvelle épouse et la demie-soeur que le couple lui donne (ou plutôt lui impose), rue du Loing puis rue Marguerin dans le XIVe arrondissement. Des petites rues compassées, menant au parc Montsouris – “son seul nom me semblait laid, la tristesse imbibait ses vastes pelouses” – de quoi faire amèrement regretter à l’enfant les rues du Ve. “Il est curieux que ces mêmes maisons, quand j’habitais rue Flatters, m’aient paru vivantes, je me sentais protégée, enveloppée doucement dans leur grisaille jaunâtre… et elles conduisaient aux amusements, à l’insouciance des jardins du Luxembourg où l’air était lumineux, vibrant“.
Et quelques pages d’Enfance plus loin l’auteure oppose encore “cette discrète, presque tendre bienveillance que répandaient sur moi la rue Flatters ou la rue Berthollet” au caractère étriqué, mesquin, sans vie, des rues du Lunain, du Loing et Marguerin. C’est peut-être cela que je vais puiser, quand j’encercle le discret pâté de maisons Port-Royal, Flatters, Berthollet, sa tendre bienveillance porteuse de l’empreinte de Nathalie Sarraute. Le 3 rue Flatters est aujourd’hui un hôtel : aller une nuit y dormir ?
Le collègue qui m’avait offert le folio d’Enfance au printemps 1986 (je date d’après la leçon inaugurale de Maurice Agulhon au Collège de France que nous avions écoutée ensemble, c’était dans ces jours-là) ne se doutait pas comme son petit cadeau me ferait bon et long usage.
Sources biographiques et texte cité : Oeuvres complètes de Nathalie Sarraute dans la Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1996.
Mesures de la rue : Nomenclature des voies publiques et privées, 8e éd., Paris, Imprimerie nationale – Hôtel de Ville, 1972.
Cette vieille dame jeune d’esprit qui marche, appuyée sur sa canne, face à moi sur le trottoir de la rue Notre-Dame-des-Champs s’arrête, accote sa canne contre le mur, se baisse précautionneusement, ramasse au sol une samare (arrivée sur ce bitume je me demande bien comment : ni érables ni frênes plantés rue Notre-Dame-des-Champs) et la lance en l’air au dessus de sa tête pour la regarder, tout sourire, tourbillonner en redescendant au sol. Nous échangeons un clin d’oeil et reprenons chacune notre route. Heureux effet printanier. Je me souviens qu’on les appelait hélicoptères dans ma cité d’enfance.
Illustration : Erable sycomore à fruits rouges, par Lefèvre, gravure extraite de la Revue horticole, 1864. Fonds ancien de la Bibliothèque de la Société nationale d’horticulture de France, via Gallica (cette mine).
Le jaune et le bleu sont des couleurs complémentaires.
La brouette et la planche sont des objets complémentaires.
A l’amie silencieuse marchant à son côté, elle disait, celle qui traversait devant moi le boulevard du Montparnasse, que, dorénavant, elle ne lirait plus ses mails qu’une fois par jour – tu vois -, le soir, et éteindrait son téléphone – tu vois -, que cette vie ce n’est plus possible, qu’on ne s’appartient plus. Et je me demandais à qui à quoi elle espérait ainsi échapper, de quelles interactions personnelles ou professionnelles elle voulait se soustraire, et si sa vie s’en trouverait vraiment plus légère. Je n’ai pas souvenir que nos jours étaient plus tranquilles quand nos uniques boîtes à lettres s’ouvraient au moyen d’une clé, non d’un mot de passe, ou quand nos conversations téléphoniques ne s’engageaient qu’un fil à la patte et un toit sur la tête. Je pensais donc que la libération – tu vois – qu’elle escomptait des mesures d’abstraction technologique qu’elle s’apprêtait à mettre en oeuvre était un leurre. A l’écouter, rien que le temps de franchir ensemble ce passage clouté (j’emploie l’expression même si je sais les clous aux belles têtes luisantes chassés par les bandes de peinture thermo-collante que nos piétinements ont vite fait de fatiguer) il y avait tout lieu de penser que seule une auto-déconnection de son ego aurait pu lui procurer, ainsi qu’à son entourage, quelque répit.
PS. Vignette illustrée sans rapport direct, juste pour dire : parfois je ne comprends rien aux périmètres de sécurité sur mon chemin.
Comminatoire (comme qui dirait au chien : “au pied” !)
au pas de charge (pas les deux pieds dans le même sabot)
sans paroles (repeint en rose : comprenne qui pourra)
vous laissant désorienté (ne sachant quel parti prendre : gauche ? droite ?)
ou planté sur le trottoir
Et même en peinture, même au singulier, à croire qu’ils ne peuvent pas nous voir. Nous, piétons, tanguons sans repos d’un bord à l’autre, chassés de pancarte en pancarte, ni au revoir ni merci.
PS 1 : Ce n’est pas la première fois que L’employée aux écritures s’émeut de ces injonctions contradictoires mais il lui semble que ça ne s’arrange pas, loin de là.
PS 2 : Les commentaires sont fermés pour cause d’avalanche récente de spams.
A la pointe Cardinal Lemoine/Fossés Saint-Bernard, c’en est fait de la bibliothèque, du miroir, du goût des uns pour le papier peint, grands ramages ou fines rayures, du goût des autres pour la peinture, mate ou laquée, Ripolin ou Valentine qu’importe, les voilà tous délogés à la même enseigne. Toutes traces poussiéreuses résiduelles, négatifs des cadres qui solennisaient leurs portraits de familles, leurs diplômes ou leurs emprunts russes comme leurs canevas aux petits trous tous bouchés à grands renforts d’aiguillées de coton DMC, occultées. Une bâche uniforme et monochrome, maintenue sous un entrelac boisé qui ne plaisante pas avec les angles droits, ruine sans pitié des décennies d’efforts de personnalisation des horizons domestiques. Où est passée la distinction des murs porteurs d’ambitions qui séparaient leurs petits chez-eux (valant toujours mieux que de grands chez les autres), leurs domiciles adorés, leurs fors intérieurs, de ceux – exactement les mêmes – de leurs jumeaux mitoyens qui, rue du Cardinal Lemoine ou rue des Fossés-Saint-Bernard, avaient tiré les bons numéros, ceux des immeubles toujours debout ?
Ce spam qui obstinément dans ma boîte de déception revient à la charge voulant expédier à bas coût et dans le monde entier mes palettes. Voies des eaux, des airs, et chemins de terre si nécessaire. Rien ne les arrête. Je les en remercie mais je crains que nous ne fassions jamais affaire ensemble. Certes des palettes, j’ai fini par en trouver, et de belles bleues, mais il m’a fallu courir de l’autre côté de l’Atlantique et encore, une fois là-bas, passer un pont pour m’en procurer. Le problème, maintenant, est que je ne sais pas quoi empiler sur mes palettes quand bien même je les aurais elles-mêmes désempilées pour faciliter leur chargement. Je les laisse donc ainsi dressées ; elles prennent moins de place et comme je ne compte pas changer mon parquet de sitôt. (Je me souviens de ces petites planchettes en bois, dimensions judicieusement calculées – 11,7 X 2,34 X 0,78 paraît-il -, dont nos enfants élevaient des tours sans fins et qui après effondrement, volontaire ou pas, regagnaient leur baril de rangement). Certes il y aurait bien les oeuvres complètes de L’employée aux écritures à expédier par palettes dans le monde entier (1 200 kg maximum l’une, toutefois) et j’en serais flattée, mais celles-ci ne sont hélas toujours pas traduites.