le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux
Dans la belle rétrospective en cours au musée d’Art moderne de la ville de Paris de l’oeuvre de Gabriele Münter, déjà évoquée ici à propos d’une passagère de tramway, je me suis aussi longuement arrêtée devant Aurélie – 1906 Linogravures sur papier japonais et papier machine, dixit le cartel (avec mes excuses pour les quelques reflets de luminaires).
Frappée comme tout un chacun chacune découvrant ces gravures, par le furieux air de famille warholien d’Aurélie avec Jackie Kennedy, née Jacqueline Lee Bouvier, ou Marylin Monroe, née Norma Jeane Baker, pour ne citer qu’elles. Mais le problème avec Aurélie, c’est que l’on ignore son nom de famille et que je voudrais bien la connaître mieux.
Ce que l’on sait, grâce au cartel et à mes quelques glanes dans des travaux consacrés à Gabriele Münter, c’est que la peintre vit à Paris comme locataire d’une chambre dans la pension tenue par une Mme Vernot au 58 rue Madame, VIe arrondissement, de novembre 1906 à mars 1907 et qu’Aurélie est domestique dans cette pension. D’ailleurs Aurélie apparaît en silhouette, s’activant à l’arrière plan du portrait de Mme Vernot réalisé par l’artiste avec la même technique, Mme Vernot avec Aurélie (photo téléchargée sur le site du Saint-Louis Art Museum). Dans son roman récente, La femme nouvelle selon Gabriele Münter, évoquant la vie de la peintre entre 1904 et 1929, Florence Mauro promeut Aurélie au grade de “gouvernante” sans en dire plus. Gouvernante et domestique sont pourtant deux emplois différents et l’attitude courbée (au dessus d’un évier ?) d’Aurélie derrière Mme Vernot relèverait plus de celle d’une domestique que d’une gouvernante..
Dommage que la série de recensements nominatifs parisiens accessibles grâce aux Archives de Paris ne commence qu’en 1926 car on en aurait le coeur net. S’il existait pour 1906, on y découvrirait le nom de famille d’Aurélie, ses année et lieu de naissance et sa fonction dans le foyer Vernot (et idem sur sa patronne). J’ai regardé par acquit de conscience le recensement de 1926 mais n’ai pas été surprise que 20 ans plus tard, et la Grande Guerre passée par là, ce monde a disparu du 58 rue Madame.
Le 58 rue Madame c’est néanmoins une adresse qui n’est pas anodine. l’immeuble abrite le temple protestant du Luxembourg (j’ai assisté là à un concert il y a quelques années). En 1906-1907, outre Gabriele Münter, d’autres artistes et/ou amateurs et collectionneurs d’art étrangers, états-uniens en particulier, y résident, comme Sarah et Michael Stein, frère de Gertrude qui vit alors à deux pas, 27 rue de Fleurus. La collectionneuse Etta Cone y prend, elle, pension de 1903 à 1906, Mme Vernot la logeant et lui dispensant des leçons de piano. Le catalogue de l’exposition de 1970 du MOMA Four Americans in Paris : the collections of Gertrude Stein and her family illustre la sociabilité et les affinités du petit monde du 58 rue Madame, mais hélas ne nous apprend rien sur Aurélie.
Les petites annonces publicitaires passées dans la presse par Mme Vernot pour sa pension, repérables grâce à la précieuse bibliothèque numérique Gallica de la BnF, dévoilent le type de clientèles qu’elle recherche. Des étrangers donc, notamment anglophones, via l’édition européenne du New York Herald le 26 juin 1908
mais aussi des protestants, via La Pioche et la truelle, journal mensuel d’évangélisation, régulièrement entre 1909 et 1913 (ici le 15 janvier 1911 ; captures d’écran de Gallica)
C’est tout ce que je sais aujourd’hui sur Aurélie et son employeuse. Je continue à chercher.
You can be the first to comment!