Rêve de gare, un peu fou et bien au dessus de mes moyens, caressé depuis longtemps : une nuit, j’irais dormir au coeur du monde Montparnasse, en touriste, dans un des deux hôtels triple étoilés collés au plus près de la gare. Sous son emprise. Y arriver à la nuit tombée et le lendemain, franchissant nez en l’air et à nous deux Paris, la porte à tambour, savoir enfin ce qu’elle inspire comme pensée la première vraie gorgée d’air parisienne aspirée (comme il a pu m’arriver de le faire à Rome, à Lisbonne, à Vienne, à Madrid, à Bruxelles, à Londres ou à Copenhague). Deux seuls hôtels de Montparnasse dont les enseignes lumineuses accompagnent un temps ceux qui s’en retournent, assis sens contraire à la marche, vers leurs cités-dortoirs de banlieue ou lotissements bitumés des confins de la grande couronne. NOVOTEL Accor Hôtels au bleu si beau tranchant la nuit des voies, côté Vaugirard des Intercités, et HOTEL CONCORDE MONTPARNASSE, façade circulaire, côté Pasteur des TGV. Hôtels aux arrières cours, par où transitent les chariots de linge sale et les containers-poubelles, jouxtant les accès de services de la gare, sur ses arrières. Des accès, qu’on préférerait ne pas trop offrir aux regards, mais nécessaires au bon fonctionnement des hôtels comme de la gare et au confort des voyageurs, dans les deux cas.
Extension de la gare : jusqu’à la S. I. de la Gare, petite plaque sur mur en briques, à côté de la porte d’entrée, chambres tout confort à la semaine et au mois, tarifs sur papier scotché, illisibles du train, bien sûr. En gare de Vanves-Malakoff, quand on roule en direction de Sèvres rive gauche, le wagon de tête arrêté invariablement à sa hauteur : c’est le crocodile qui veut ça (je sais depuis longtemps ce qu’est un crocodile sur une voie). Cinq fenêtres par étage, une chambre par fenêtre, trois étages, 15 chambres au moins dans l’hôtel, pour ce que l’on en voit. Côté trains, vie des habitants qui déborde un peu par les fenêtres. Posés sur les rebords, régulièrement, des paires de chaussures de sport, grandes pointures, et l’hiver des provisions : sacs plastiques avec oranges, bananes ou pommes, briques de lait, packs de yaourts. Mais une seule fois, un poulet sous cellophane. Une des chambres du premier étage a longtemps été occupée par celui que j’appelais, mais seulement en moi-même, « l’homme que sa femme aime ». Elle debout dans l’ombre, on ne voyait que ses mains, posée sur ses épaules à lui découpées du maillot échancré, toujours assis à une table, immobile. On supposait face à un poste de télévision.