L'employée aux écritures

le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735

RSS Feed

"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux

Aller aux tripes (comme d’autres aux mirabelles*)

Comments Off
Posted by ms on 7 août 2008 at 22:31

C’est une tradition locale dont je ne sais pas si elle se rencontre ailleurs, mais à Céaucé (Orne), deux fois par an, le jour de la Saint-Ernier, célébré arbitrairement le deuxième dimanche d’août, et le dimanche de Pentecôte – soient les deux jours de fêtes au village- les réjouissances commencent par le petit déjeuner aux tripes servi à 9 heures dans les cafés du bourg. Des cafés, il y en a eu pas loin d’une dizaine, il en reste trois (dont un tenu par des sujets de sa Grâcieuse Majesté)  qui s’appellent La Victoire, Le Marché et Le Relais de l’Etape – une appellation que j’ai toujours trouvée redondante.

Donc dimanche 10 août à 9 heures, on verra converger de toutes parts vers les troquets des grappes de bonshommes allant ensemble aux tripes. La pratique n’est pas très féminisée, bien que rien ne s’y oppose et qu’on puisse toujours se faire servir un bifteak comme alternative – donc aller aux tripes sans manger de tripes, mais “le charme n’est pas le même” dixit les amateurs. Personnellement, si à midi je n’ai rien, par principe, contre les abats (encore que certaines cervelles crues…), au saut du lit j’aime mieux plus léger.

Quand il séjournait là-bas ces jours de fêtes, Amand Sonnet ne manquait pas de sacrifier à la coutume de la portion de tripes au matin, complétée d’un huitième de camembert, d’un fruit au choix et d’une bouteille de muscadet, à moins que l’on préfère du rouge. Il s’y rendait avec voisins, amis et éventuellement un gendre téméraire de l’estomac, ou deux**, de quoi composer une sympathique tablée – mais de toutes façons aux tripes, toutes les tablées parlent ensemble. Les hommes qui vont aux tripes ne font pas grand chose d’autre de la journée, c’est assez fatigant.

Après la mort du forgeron, donc depuis 1986, les gendres, accompagnés éventuellement de quelques petits-fils ont, le plus souvent pour la Saint-Ernier, maintenu la tradition, pour 10 euros, café compris en 2007. Mais cette année, le coeur n’y est pas trop, aucun n’a vraiment envie et j’ai bien peur même d’être la seule partante pour le feu d’artifice du soir, au plan d’eau, quand la nuit sera tombée. Moi j’aime bien les feux d’artifice, c’est comme ça, même si les fistons ont passé l’âge de parader portant lampions dans la retraite aux flambeaux.

* on ne peut pas faire de liens dans les titres, donc je place en note de bas de page celui qui se cacherait derrière les mirabelles.

** puisque j’ai commencé les notes en bas de page, je continue : je ne crois pas que mon frère soit amateur de tripes, mais je vérifierai (et corrigerai éventuellement) lundi quand je le verrai.

Filed under la vie tout venant
Both comments and pings are currently closed.

12 Comments

  • On 8 août 2008 at 8:56 redonnet said

    J’aime ce texte.
    J’aime ce qu’il y a de profondément humain, de métaphorique même, dans ce “aller aux tripes.”
    C’est presque de l’ethnologie aussi.
    Allez, j’y vais de ma petite anecdote. C’était dans un village de la région toulousaine. Un été avec Denis, mais pas à Calatayud…
    La tradition était de se goinfrer sans retenue aucune d’un énorme plat de Cassoulet frais, fait maison par le charcutier du coin.
    Ce que nous fimes, arrosé de Gaillac, sous les moqueries indignées de nos compagnes respectives.
    Ce après quoi nous voulions écrire, chacun de notre côté, un texte sur le petit bruit sec des graines sauvages qui éclataient dans les buissons alentour, sous la chaleur du soleil.
    Nous avons dormi. Pas de texte.

    Les tripes de la poésie s’accomodent parfois mal de la poésie des tripes.

  • On 8 août 2008 at 9:20 ms said

    Merci de votre lecture, Bertrand, mais attention : aux tripes, on ne se goinfre pas, rien à voir avec les concours type “plus gros mangeurs de”, c’est d’abord une pratique de convivialité et en ce sens vous avez raison, il y a de l’ethnologie à faire avec ça.

  • On 8 août 2008 at 9:43 redonnet said

    Autant pour moi…
    J’ai commis une métonymie abusive, prenant nous pour le tout….La tradition n’était pas de se goinfrer mais de déguster.
    Mais, nous, nous avions outrepassé les limites culturelles de la tradition.

  • On 8 août 2008 at 14:05 cairo said

    A neuf heures du matin, on s’imagine mieux aller aux mirabelles qu’aux tripes, mais le paysan de l’Orne , à neuf heures du matin si je me souviens bien , est déjà levé depuis longtemps et chaque jour, s’apprête à cette heure à prendre une collation avec saucisson, fromage, bref de quoi tenir jusqu’à midi. En tous ca, à midi, il y avait des tripes à la mode de Caen à mon restaurant d’entreprise

  • On 8 août 2008 at 15:05 ms said

    chez les paysans de l’Orne, prendre ce repas de 9 heures du matin, effectivement après les travaux les plus matinaux, la traite en particulier, s’appelle “meudionner”, enfin c’est comme ça que je l’entendais dans ma jeunesse, et avant d’y retourner le soir, à 6 heures, les mêmes paysans de l’Orne “collationnaient” (- mais j’y pense “collationner”, ça n’aurait pas un petit côté bibliothéconomique aussi ?)
    quant au restaurant de votre entreprise, pour l’avoir fréquenté, je n’en garde pas un très bon souvenir, même les jours sans tripes

  • On 8 août 2008 at 15:49 cairo said

    Les tripes étaient bonnes à midi et ayant à tout jamais et depuis longtemps abandonné l’idée de manger dehors comme chez ma mère, c’est à dire très bien ou comme chez moi ,c’est à dire bien je me contente bien d’un art moyen
    Content d’avoir appris meudionner, en tous cas les habitants du Perche ornais disaient à neuf ou plutôt à dix heures : “on va prendre un petite collation ” comme quoi le vocabulaire peut changer à quelques lieues
    En tous cas je préfère la collation alimentaire à la collation bibliographique

  • On 11 août 2008 at 15:35 B said

    j’aime surtout la mention “classé dans page culturelle” – vous devriez préciser les heures auxquelles il est préférable de consulter vos nouveaux articles – bien cordialement

  • On 11 août 2008 at 17:08 ms said

    merci de votre visite, n’ayant pas créé de catégories “arts et traditions populaires”, il m’a semblé que c’était la “page culturelle” la plus appropriée, et manger des tripes ou s’en abstenir me semble bien en effet relever d’une acception un peu large de la culture.
    Pour le reste, L’employée aux écritures n’est pas très stricte sur les horaires : vous passez quand ça vous arrange (en fonction de vos heures de repas si vous y tenez)

  • On 11 août 2008 at 23:12 michèle pambrun said

    Je suis contente de comprendre enfin pourquoi François sur le forum parlait de tripes. J’aurais dû percuter.

    Je suis d’accord avec Bertrand. J’aime moi aussi ce texte, pour ce qu’il dit des pratiques de convivialité entre les hommes, où qu’ils habitent et travaillent.

    En référence à ce que dit Cairo, je me rappelle que mon père, à l’oeuvre dès 5h du matin, dans son atelier de ferronnerie attenant à notre maison, venait à 9h casser la croûte et quand j’étais en vacances, je lui préparais un “champoro” (café brûlant avec une rasade de vin rouge).

  • On 12 août 2008 at 23:19 PdB said

    Je me demande (est-ce bête hein ?) de qui sont ces tripes de neuf heures du matin ? cochon, génisse, boeuf agnelet veau vaches couvées ? (non, pas les derniers…) mais à propos d’abats, j’ai lu ça tout à l’heure (dans le Lison Paris, en correspondance avec l’autobus qui vient de Coutances, je ne passe plus par Granville depuis longtemps) : “Chen (c’est le héros, ndc) découvrit des mets qu’il ne connaissait pas. Une assiette de gésiers de moineaux frits, croustillants à point – combien de moineaux avait-il fallu pour composer ce plat ?- et une recette de canard très originale : les têtes sans le crâne, de sorte qu’on pouvait aisément saisir la langue, ou aspirer la cervelle.” (“Encres de Chine” QIU Xiaolong, au Seuil, p108). Bon, l’heure du repas n’est pas explicitement précisée… mais “Bon appétit, Messieurs, O ministres intègres” etc…
    Juste pour affirmer l’ethnologie importante de la cuisine (j’ai aussi lu, mais il y a quelques jours, un roman policier d’une certaine Donna Leon je crois bien (http://fr.wikipedia.org/wiki/Donna_Leon), je ne la connaissais pas, mais ses romans se passent à venise, et je me souviens de l’un des menus du commissaire avec son beau père : les sardines au vinaigre et aux raisons secs, les spaghettis aux vongoles, et le poisson frit – je ne sais plus- mais je me suis dit qu’il fallait que je me procure les autres de cette charmante, semble-t-il, professeur de quelque chose à Venise ou Mestre je ne sais plus…).
    Un petit bonjour gastronomique de passage…
    Merci de vos voeux. A bientôt (je continue mes vacances, si tout va bien, jusqu’à la fin de la semaine prochaine…)

  • On 13 août 2008 at 5:08 ms said

    Je pense que c’est du bovin, mais je ne sais pas à quel stade de développement, génisse ou vieille bête ? en tout cas existe par ailleurs comme abat spécifique la fraise de veau (ou du moins existait, je vous parle du temps où mon père aimait ça, copieusement arrosée de vinaigre, et où notre mère en achetait pour lui chez un tripier au marché – c’était blanc et frisé)
    Et si dans le cas de la volaille, je partage avec le chat, à lui le coeur et le foie, à moi le gésier, je ne m’en ferais par pour autant servir toute une assiette et encore moins de moineaux !
    Donna Leon, vu un reportage sur Arte, femme tout à fait sympathique apparemment, et j’en avais emprunté après pour voir à la bibliothèque municipale, mais je n’aime pas trop les romans policiers : généralement je ne comprends pas le dénouement.
    Exception : j’aime bien les histoires du libraire cambrioleur à New York de Lawrence Bloch

  • On 13 août 2008 at 22:21 PdB said

    Nous disions, il y a quelques temps, avec des amis autour d’un plat de pâtes à la sauce tomate (j’assure, question pâtes à la sauce) que si profession était bien perdue, c’était celle de tripier… Vache folle, quand tu nous tiens, hein… Mais je me souviens des onglets de veau que j’achetais sous la halle du marché d’Aligre à une vieille tripière en sabots et gilet de grosse laine sur sa blouse à fleurs bleues : trente ans, voilà (ensuite j’allais au Baron Rouge prendre un petit verre de muscadet, vers onze et demi, le dimanche… enfin, un dimanche sur trois ou quatre)

Rubriques du blog

Recherche

Archives du blog depuis avril 2008

Sur Twitter

tous textes et photos copyright Martine Sonnet, sauf mention spéciale
var _gaq = _gaq || []; _gaq.push(['_setAccount', 'UA-25117361-1']); _gaq.push(['_trackPageview']); (function() { var ga = document.createElement('script'); ga.type = 'text/javascript'; ga.async = true; ga.src = ('https:' == document.location.protocol ? 'https://ssl' : 'http://www') + '.google-analytics.com/ga.js'; var s = document.getElementsByTagName('script')[0]; s.parentNode.insertBefore(ga, s); })();