L'employée aux écritures

le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735

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"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux

Oloé du bord de l’eau

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Le concept de l’oloé – le lieu Où Lire Où Ecrire : quête incessante - est une heureuse invention d’Anne Savelli auteure de Franck (mais pas seulement) paru l’année dernière, livre fort avec dérives et rencontres en villes, en gares et en prisons, le tout nimbé d’amour et accompagné magnifiquement en images et en voix sur la Toile. Son livre numérique Des Oloé Espaces élastiques où lire où écrire qui vient de paraître est lui natif du web, conçu lors de sa résidence virtuelle chez mélico – à qui je livrais dans le même temps mes Notes de voyages avec livre et où, en ce moment, des textes de Philippe Annocque et de Thierry Bienstingel sont accueillis.

Ce début juillet 2011, j’ai habité un Oloé auquel je mettrais bien ***** s’il en allait des Oloé comme des hôtels, mais mon Oloé n’était pas un hôtel mais un moulin sur un bras de Seine à Andé dans l’Eure, assez connu pour que je me dispense de raconter son histoire ; une longue histoire commençant au XIIe siècle et fortement enrichie à partir du milieu du XXe des présences des hôtes, artistes, musiciens et cinéastes notamment, et écrivains, reçus là par Suzanne Lipinska conquise par le lieu et désireuse de le partager.

Au moulin j’écrivais en bon voisinage avec Maurice Pons (et ses chats) vivant là à demeure ; ma chambre à soi d’une semaine située juste au dessus de chez lui. Souvenirs forts de Georges Perec dans les murs, comme de François Truffaut, de Jules, de Jim et de Catherine, pour ne pas dresser une trop longue liste de celles et ceux passés par là.

Précieuse semaine sans autres pensées que celle d’écrire quand l’ordinaire des jours c’est l’éparpillement et assez souvent le spectre des choses à faire dans le reste de la journée qui vient se mettre en travers de l’écriture des petites heures du matin tôt. Chantier en cours, chantier au long cours, esquissé jusqu’à son terme.

Le dimanche, comme tous les dimanches sans doute, un bateau de croisière est passé, apparition étonnante dans ce paysage ressenti comme l’écho d’un lointain “sentiment de la nature au XVIIIe siècle” ; beau sujet à méditer dans un parc dans lequel le végétal et la rocaille se fondent à la perfection.

Je me suis plue à Andé parce que dans la nature sans me ressentir à(de) la campagne. Nuance. Sentiment partagé me dit Suzanne Lipinska : je ne serais pas la seule,  assez loin de là, à aimer le moulin sans trop goûter la campagne. Grande pensée amusée pour les pages de Georges Perec à propos de  la campagne dans Espèces d’espaces(le chapitre IX, p.101-107 dans mon édition, collection Médiations Denoël/Gonthier, achetée en septembre 1978, je l’ai noté à l’intérieur).

Sur la Seine croisent les bateaux du dimanche et sur l’herbe les bateaux des autres jours au fond desquels des arbres poussent.

La rentrée au rayon histoire

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Je repasse ce billet en une : le livre est fabriqué, je suis passée en prendre deux exemplaires chez l’éditeur en rentrant hier soir. Il est agréable à regarder et à manier, à lire aussi j’espère.

La librairie Entre les lignes, 167 avenue Jean-Jaurès à Clamart, à deux pas de ma porte, m’invite à en parler samedi 15 octobre à 16 heures. Rejoignez-nous, on pourra aussi évoquer mes livres moins académiques…

L’employée aux écritures fait sa rentrée non pas au rayon littérature mais au rayon histoire. Comme il y a longtemps puisque le 13 octobre le livre issu de ma thèse de troisième cycle L’éducation des filles au temps des Lumières, qui était devenu introuvable, sera à nouveau en librairie (au prix abordable de 10 euros) repris dans la collection de poche de CNRS Editions, en coédition avec le Cerf son éditeur de 1987. Avec mises à jour légères de la  préface de Daniel Roche et de la bibliographie : le sujet n’a guère été retravaillé à une échelle comparable depuis mon écumage des archives des écoles de filles parisiennes avant la Révolution.

Grand bonheur à voir ce livre revivre puisque j’espérais ardemment sa réédition, sous une forme ou sous un autre, depuis que l’ouvrage était épuisé. J’en arrivais à imaginer le scanner moi-même page à page pour le mettre en ligne sur mon site tellement je trouvais son indisponibilité absurde. Quand ils n’avaient pas été reliés les exemplaires de certaines bibliothèques universitaires atteignaient un état de décomposition assez avancée.

Le tableau peint vers le milieu du XVIIIe siècle par Jean-Baptiste-Marie Pierre La maîtresse d’école (conservé au musée d’Art et d’Histoire d’Auxerre) qui figurait en vignette sur l’édition originale passe en illustration de couverture pleine page du poche ce dont je me réjouis parce qu’il reflète parfaitement la large acception sociale dans laquelle le sujet est traité. La maîtresse représentée enseigne selon toute vraisemblance dans une institution charitable ou hospitalière. A noter, sur la peinture de Pierre, la présence d’une troisième fillette un peu en retrait absente du recadrage.

Depuis l’achèvement de ma thèse, mis à part les synthèses proposées au tome 3 -, XVIe-XVIIIe siècles – de l’Histoire des femmes en Occident dirigées par Michelle Perrot et Georges Duby (publiée en 1991 et 2002) et à la revue Historiens & géographes (n° 393, 2006), mes travaux autour de l’éducation des filles au XVIIIe siècle ont porté sur des questions spécifiques, comme sur l’apport de correspondances féminines amicales pour l’approche d’éducations familiales aristocratiques ou bourgeoises – cas de Geneviève Randon de Malboissière d’une part et de Manon Phlipon d’autre part (article sur cette dernière qui paraîtra à l’automne dans  Histoire et civilisation du livre, t. VII) – ou tout récemment sur l’éducation musicale (il y aura parution également, je ne sais pas quand).

Filed under du XVIIIe siècle

D’étés anciens en noir et blanc

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la campagne toujours même

1957 – inventer la plage qu’on n’imagine pas -

1959 – mauvaise tête : je ne veux pas être sur la photo -

1960 – le baigneur s’appelle Pascal comme le petit voisin du dessous à la ville -

1961 – crocheter les ronces pour récolter les mûres -

1963 – j’ai un doute sur la date portée au stylo au dos de la photo : j’aurais si peu grandi en deux ans ? ou bien juste une question d’échelle  à côté de la carrure paternelle ? -

les jours de pluie, pas de photographies, la maison trop sombre

Progrès significatifs dans l’art de la discrétion

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Dans la salle d’attente de ce cabinet d’imagerie médicale des plus sophistiqués et des plus en vue de la ville

les hommes invisibles passent enfin inaperçus, leurs attentes ont été satisfaites – au risque d’être oubliés et que leur tour ne vienne jamais : la discrétion a son prix.

Filed under utopiques

Preuves tangibles du Montparnasse monde

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Quand je vous disais les “plafonds composites souvent mal raccordés” et les “vagues déferlantes pour couvrir le hall Maine, mais le souffle océanique escompté n’y est pas” (ici ou p. 15 du livre)

quand je vous disais “le déhanchement immanquablement éprouvé sur nos banquettes, un peu avant l’entrée en gare de nos trains de banlieue” (ici ou p. 85 du livre)

quand je vous disais qu’au jardin “dès que les lavandes sortent de terre, le carré de gauche, quand on se tient dos tourné à la gare le regard portant sur Perpignan, prend de l’avance sur celui de droite et garde celle-ci jusqu’au terme de la floraison (ici ou p. 86-87 du livre)

quand je vous parlais de mon bureau, la pièce 2071 s’ouvrant sur un couloir courbe (ici ou p. 81 du livre)

j’avais raison, vous le voyez bien. Hissez-vous au 56e étage de la tour et vous en aurez le coeur net.

Dire que j’ai attendu d’être dans ma 56e année pour y aller voir, au 56e, saisissant l’occasion de ce salon du livre sur Paris dressant là, les 10 et 11 juin derniers, une librairie éphémère. Si je n’étais pas trop peinée de ne pas être du nombre des 56 auteurs invités à dédicacer* leurs oeuvres capitales, je souffrais quelque peu en revanche de constater que Montparnasse monde avait échappé à la vigilance des bibliographes ayant composé les tables. Le libraire associé à l’opération à qui je faisais part de mon désappointement, navré, désolé, confondu de l’oubli, m’a promis qu’il me revaudrait cela.

* Je venais de lire La signature d’Allain Glykos parue à L’escampette, une savoureuse auto-analyse de l’auteur en situation de (ne pas) signer ses livres un 17 août derrière sa table de formica à l’invitation de la librairie d’une rue piétonne vouée aux transhumances plagistiques en pleine île d’Oléron. De quoi me souvenir que dans cette île, j’avais été invitée, moi, pour Atelier 62, un samedi 16 août. D’Allain Glykos, j’avais déjà évoqué sur ce blog son subtil  A proprement parler, paru chez le même éditeur.

Filed under Montparnasse monde

Gravats meringués

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Gravats meringués – doigt de curaçao -

résultant de la démolition

du palais de Dame Tartine

La chance d’avoir Henri Matisse pour voisin

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Depuis quelques jours j’ai un deuxième livre sur Matisse, mais de format beaucoup plus réduit que le premier.

Le premier, celui de Pierre Schneider, je l’avais reçu en cadeau, peu après sa parution. Le nouveau, c’est le petit livre de Peter Kropmanns que je découvre parce qu’il est exposé dans une vitrine de librairie à Issy-les-Moulineaux – de l’utilité toujours de ces vitrines quand elles sont bien composées : nulle part dans la presse papier ni sur le web je n’avais repéré sa parution et pourtant j’ouvre l’oeil. Présence logique dans cette ville puisqu’il s’agit de Matisse à Issy, l’atelier dans la verdure.

J’ai plusieurs raisons d’être sensible à ce joli petit livre. Les deux principales étant, la première que Matisse est le peintre dont j’ai le plus envie d’habiter les tableaux, en familiarité spontanée et évidente avec personnages, motifs, décors. Etre celle qui converse avec l’homme en pyjama, rêver ou lire dans un fauteuil près d’une table ronde avec pot de géraniums ou bocal de poissons rouges, tapis sous les pieds, rideaux épais. Je crois que cela remonte à ma première visite (classe de 2nde C4D 1970-1971 lycée Rabelais Meudon accompagnée de notre fantastique professeure de lettres alors Annie H.), au Musée national d’art moderne d’avant Beaubourg, donc au Palais de Tokyo, et à mon émerveillement devant sa Blouse roumaine immédiatement adoptée par ma garde-robe.

La deuxième, Matisse a été quasiment mon voisin de 1909 à 1917 et le livre de Peter Kropmanns est précisément consacré à ces années où le peintre habite et travaille à Issy-les-Moulineaux tout près de la gare de Clamart ; commodité d’accès qui justifie son choix. Quand Matisse prospecte, il écrit à Albert Marquet en avril 1909 après une première visite : J’ai déjà vu quelque chose de très bien à Clamart, ou plutôt à Issy-les-Moulineaux, à 10 minutes de la gare de Clamart. Compter encore à l’époque dix bonnes minutes de train pour Montparnasse (sept aujourd’hui).

Le livre de Peter Kropmanns relève de la tentative d’épuisement des neuf années pendant lesquelles le 42, route de Clamart, – aujourd’hui 92, avenue du Général de Gaulle – sera l’adresse principale de Matisse.

Sa maison – l’atelier a été démoli, le terrain attenant sur lequel Matisse le fait construire dès son arrivée a été vendu et construit de longue date – je la connais bien. Le bus 394 passe devant (dans les deux sens) et à vrai dire c’est du bus et de sa hauteur qu’on la voit le mieux, le regard passant alors au dessus du mur qui l’enclôt. Toujours heureuse d’y voir des fenêtres ouvertes ou de la lumière le soir en hiver. Je me suis longtemps désolée de son état d’abandon et puis, fort heureusement, depuis 2007 la villa réveillée abrite les archives Henri Matisse. Archives d’où proviennent les précieuses photos nous invitant chez le peintre, grand honneur qui nous est fait.

C’est d’abord la vie de banlieusard du peintre que raconte Matisse à Issy, l’atelier dans la verdure, vie de famille et vie d’artiste, en même temps que sont évoquées les oeuvres nées de ce qu’il a sous les yeux, intérieurs de la maison ou de l’atelier, fenêtres sur jardin, jardin, et de ses promenades dans les environs, à Clamart, à l’étang de Trivaux, à Villacoublay ou à Malabry. Mais les voyages, l’Espagne, la Russie, le Maroc, et les villégiatures, Nice ou Collioure, qui entrecoupent le séjour et les toiles qui en portent souvenir sont là aussi.

Récit simple et attentif aux moindres détails domestiques de la vie isséenne du peintre avec son épouse Amélie, et les enfants Marguerite, Jean et Pierre, sans oublier les chiens et les poissons rouges.

C’est le train que l’on prend gare de Clamart pour aller à Paris et que l’on fait prendre aux visiteurs et acheteurs. Passent par là Pierre Bonnard, Alice et André Derain, Josette et Juan Gris, Albert Gleizes, mais aussi Serge de Diaghilev, Diego Rivera, Gertrude Stein, Pablo Picasso, entre autres.

C’est la composition du jardin, les belles heures qu’on y passe en été, mais l’isolement qu’on ressent à Issy en hiver malgré le confort de la maison – salle de bains avec baignoire, radiateurs dans chaque pièce, ligne téléphonique – quand les visiteurs se font plus rares. Le mal de Paris qui prend parfois l’artiste et la location d’un appartement 19 quai Saint-Michel pour y remédier quand il saisit trop fort.

Lecture émouvante, lecture de proximité : Matisse et moi fréquentons la même gare

Filed under coin lecture

SEBASTIEN homme BOTTIN

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Certes en ce 15 juin 2011 SEBASTIEN BOTTIN exproprié de sa rue parisienne comme un malpropre est à plaindre et nous le plaignons mais ayons aussi une petite pensée pour tous ceux que son nom célèbre cachait, le suivant à la lettre mais moins connus sortis de leur quartier, et que le déboulonnage de la plaque SEBASTIEN BOTTIN met sens dessus dessous.

Je pense en particulier à BENOIT BASSETTIN, TINO SABBET-NIEST, ANTOINE BISBETTS, TONI BEN BASSETTI, BOB SAINT-TINSENT, SOSTENE BATTIBIN, BENITO SANTIBEST, TOBIE SAINT-BENTS, BASTIEN BOSTINET, TINTIN BASTE-BESO, ANTON BISSEBETTI, STAN BENOIT-BISET et à l’ABBE SISTONNETTI.

Nous ne les oublierons pas non plus.

D’autres hommages à SEBASTIEN BOTTIN à lire sur le blog Sébastien Bottin, homme d’annuaire.

Filed under à chaud

Ile Saint-Louis emballage urbain

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Pointe Sud, ces temps-ci, l’île Saint-Louis ne se ressemble plus tout à fait

l’hôtel Lambert est emballé pour travaux

palissades bois, bâches et grue

rue Saint-Louis-en-l’Ile, perspective écorchée

pensée pour celle qui la chante.

Je photographie l’ïle Saint-Louis samedi matin 4 juin, en allant écouter Pierre Bergounioux à la bibliothèque de l’Arsenal. Je suis en avance, le café le plus proche sur lequel je comptais est fermé. La coiffeuse voisine qui ouvre son salon, il est 9 heures, auprès de qui je m’en étonne me dit qu’il ouvrira mais plus tard dans la matinée (et de fait j’y déjeunerai après le séminaire en excellente compagnie). Je retraverse un bras de Seine en quête d’un café ouvert sur l’île quasi déserte ; glacier fermé, pas encore de touristes. Troquet ouvert angle rues Saint-Louis-en-l’Ile et des Deux-Ponts, clientèle de quartier, des habitués, toilettes à la turque auxquelles on ne s’attend plus.

De ce qu’il s’est dit au séminaire Imaginaire des bibliothèques dont c’était la dernière séance avec Pierre Bergounioux pour invité, compte rendu à lire sur le blog Sédiments d’@elizaleg qui en était comme moi auditrice.

Invité : Matthieu Duperrex, 26 rue du Départ

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Dans le cadre des échanges de lieux d’écriture entre blogueurs, dits vases communicants, du premier vendredi du mois, L’employée aux écritures est heureuse d’accueillir Matthieu Duperrex, fondateur et animateur régulier, avec Claire Dutrait, du site Urbain, trop urbain, à qui rien de ce qui respire dans la ville n’échappe. Il me rend la pareille et nous avons convenu d’un thème commun pour nos billets échangés : Montparnasse. Donc à lire ci-dessous son 26 rue du Départ et chez lui ma Petite typologie illustrée des butoirs montparnassiens. Merci à lui.

26 rue du Départ

Le 26 rue du Départ, un petit immeuble précaire, pour un Mondrian qui s’y installe en 1921, l’année de son traité sur Le néoplasticisme. L’appartement du 26 entre vite dans la légende de l’angle droit, l’éphémère éternel à contourner, dont il est l’hymne pictural et la réalisation plastique et spirituelle. Michel Seuphor : « C’était une assez grande pièce, très claire et très haute de plafond, que Mondrian avait irrégulièrement divisée, utilisant à cette fin une grande armoire peinte en noir, elle-même partiellement masquée par un chevalet hors d’usage couvert de grands cartons rouges, gris et blancs. Un autre chevalet était placé contre le grand mur du fond, lequel changeait souvent d’aspect, Mondrian exerçant sur lui sa virtuosité néoplastique.

Rue du départ, j’enquête sur un hypothétique numéro 26 qui a disparu. Invariablement, mon chemin rebroussé après m’être trop avancé dans la triste promenade couverte des Galeries Lafayette, rue du Départ, et je me plante là, devant la pierre tombale de deux-cent-dix mètres. Je ne croise pas Mondrian en imper, au 26 rue du Départ inexistant, comme tu as pu croiser Pessoa. En face, l’Artisan-Boulanger-Pâtisserie, l’air un peu logé dans un « autrefois », lui seul. Les autres bâtiments reluisent d’un « demain » des années soixante. Le dur carambolage accidenté de volumes embrassés d’escaliers sales aux rambardes graisseuses que c’est devenu, le beau projet de la nouvelle gare, des hôtels, des commerces, des logements et des bureaux, et puis de l’esplanade au-dessus du centre commercial avec la Tour. Je souris. Je sais que l’Ordre des Architectes y a installé désormais ses bureaux, sans doute dans un état d’esprit voisin de Maupassant allant déjeuner au restaurant de la tour Eiffel : « Eh ! Quoi ! Il n’y a qu’ici que je ne la vois pas ! ».

Paris futuriste, Paris de l’urbanisme souterrain et de la construction sur dalle, à la Défense et à Maine Montparnasse, qui s’est étalé là, comme pour mourir en gare, avec un front bâti irrégulier, un feuilleté précaire de géométries raides qu’au débouché de la rue de Rennes j’approche encore, frissonnant au vent, comme d’un rempart bleu de béton. Je me cogne d’ailleurs dans des angles droits pour tourner fictivement autour du vieil immeuble cerné de boîtes de jazz. Je tourne derviche, cercle Dada en roue carrée, homme pythagoricien, surréaliste écorné, cubiste en débord, suprématiste baroque, architecte athénien, thuriféraire de l’Esprit nouveau, constructiviste en orbite, là, sur le plan des rues de Paris, à Montparnasse monde, où il y a Arrivées/Départs et rues qui vont avec.

Derrière le grillage des travaux Boogie-Woogie, il y a le grid de New York où il s’envolera, depuis le 26 rue du Départ, son Home éternel, qu’il voulait étendre — élastique et plastique — à la Rue puis à la Cité. Le Corbusier y donnait rendez-vous, au 26 rue du Départ, qu’il avait baptisé « Poème de l’angle droit ». Dix ans après la mort de Mondrian, l’atelier devient élégie, l’architecte publie le Poème de l’angle droit :

« On a

avec un charbon

tracé l’angle droit

le signe

Il est la réponse et le guide

le fait

une réponse

un choix

Il est simple et nu

mais saisissable

Les savants discuteront

de la relativité de sa rigueur

Mais la conscience

en a fait un signe

Il est la réponse et le guide

le fait

ma réponse

mon choix. »

Le Poème sort au moment où les politiques se prennent à rêver d’un nouveau Maine Montparnasse, tout d’angles droits. Ce sera la fin du 26, rue du Départ, son dernier souffle abstrait et géométrique, qui est aujourd’hui une grande tour ancienne de cinquante-neuf étages, 10.340 € le prix moyen du mètre carré, angle droit dévalué.

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