Il ne sera pas dit que
L’employée aux écritures
parce que ce matin j’ai aimé beaucoup celle d’Avignon TGV
dehors, dedans, la vitesse très grande déjà si sensible en ses murs
et le paysage autour
le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
Il ne sera pas dit que
L’employée aux écritures
parce que ce matin j’ai aimé beaucoup celle d’Avignon TGV
dehors, dedans, la vitesse très grande déjà si sensible en ses murs
et le paysage autour
Suite de la mise en ligne de mes Notes de voyages avec livre en rubrique création contemporaine chez mélico.
Après 1. des départs, 2. des villes, nous en sommes à 3. des hôtels.
Le mois prochain nous en arriverons à 4. des rencontres, parce que tous ces voyages, avec procuration des 1200 forgerons de l’Atelier 62 de Billancourt, c’était autant de rencontres autour du livre.
Et justement, demain, je remets mon sac sur mon dos et repars rencontrer de jeunes lectrices et lecteurs (et d’autres peut-être moins jeunes aussi), à Aix-en-Provence et à Avignon. Et je dormirai à l’hôtel.
Un matin, une porte, dont vous n’aviez jamais même simplement soupçonné l’existence, est ouverte et il vous semble devoir tout reprendre à zéro avec la gare. Au sol, ce carrelage de couloir, unique, incompréhensible : un hapax tardif dans le Montparnasse monde qui remettrait en cause toutes vos constructions, vos échafaudages savants. Pourquoi, ici précisément, dans l’invisible, s’être soucié de disposer des carreaux et demis carreaux bleus (ces derniers formant triangles en frise) ? Pour rompre la monotonie d’un pavage blanc terne sale ? Mais le goulot conduit à une aire de service interne à laquelle accèdent des camions. L’image n’est pas nette – je n’ai plus de zoom et n’ai pas eu l’audace de m’avancer ni même de prendre le temps de faire le point -, mais à l’arrière plan, croyez-moi, un poids lourd stationne. Approvisionnant sans doute par son arrière-boutique l’un des commerces séparés par l’étrange couloir. Le camion : arrivé là comment ?
Dans la gare je furète, du verbe fureter, par tous les temps, à tous les modes et sur toutes les voies. Certaines choses m’échappent néanmoins et de plus spectaculaires, même, que la porte d’accès au fameux couloir. Pour être tout à fait honnête, je dois préciser maintenant que l’un des deux magasins achalandés par le camion n’est autre que celui de vêtements d’enfants dont j’avais signalé la disparition*. L’enseigne a en effet réouvert une succursale à côté de la parapharmacie qui lui a succédé. Et comme lors de la transformation du local en parapharmacie, je n’ai pas senti le coup venir, rien anticipé. Le tour de passe passe se joue sans que je m’en mêle. Je n’ai pas surveillé les travaux. La graphie de la marque seule a changé, l’ancien Tout compte fait en trois mots est devenu Toutcomptefait en un seul – façon adresse internet. Plus moderne. Rajeuni. Ce qui me froisse dans l’histoire, c’est le démenti cinglant infligé à mon explication rationnelle du départ des marchandes d’habits pour enfants de l’espace banlieue de la gare. La mansuétude extrême dont je fais preuve à l’égard du Montparnasse monde n’est pas forcément payée de retour. Je continuerai néanmoins.
*Voir Montparnasse monde 38
Aujourd’hui juste une sur le chemin du matin
(j’aurais voulu féliciter les 4 cyclistes pour leur sens de la composition et des couleurs, mais peut-être qu’ils ne se connaissaient pas et ne l’avaient pas fait exprès)
et une sur le chemin du soir
(j’aurais voulu entendre ce que disait l’homme dans son téléphone
- je ne suis pas sûre qu’il parlait de son travail)
entre les deux il y avait eu de la vie de bureau et de la vie de bibliothèque
D’abord c’était rue Delambre l’hôtel qui rénovait ses canapés
et puis rue Henri-Barbusse je marchais exceptionnellement
sur le trottoir des numéros impairs, celui du luthier
le pignon de l’hôtel entre les rues de l’Ecole de médecine et Racine
qu’on avait commencé à gratter, mais seulement d’un côté des fenêtres c’est pour Anne
rue de Seine la galerie aux images de fer qui m’intéresseraient bien
n’ouvre que du mardi au samedi de 11 à 18 h – je repasserai
quittant l’hôtel de la Monnaie, où j’étais allée lire des autobiographies professionnelles au Comité pour l’histoire économique et financière, je chipais cette vue sur les toits parisiens, orientée comme il se doit vers Montparnasse
monde bleu, à cette heure, que je rejoignais bientôt
(pour PdB le bleu et pour Jérôme W la ligne rouge dont on parlait l’autre jour à l’Atlantique)
Parmi les questions récurrentes posées à L’employée aux écritures par les moteurs qui cherchent pour vous, à côté de toutes celles relatives à l’art du pliage des serviettes, il y a celle de l’appendicite.
Ou plus exactement des suites de l’appendicectomie, du normal et du pathologique, de ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire et à quel moment, avec quelles précautions, dans le cours de la convalescence. La précision clinique de certaines de ces interpellations me valant parfois des haut-le-coeur, je préfère ne pas m’arrêter à y répondre.
Heureuse, en revanche, que ces histoires d’appendicite m’amènent à évoquer une de mes lectures récentes les plus marquantes, celle du récit autobiographique de Gabrielle Roy La détresse et l’enchantement (éd. Boréal, 1984) acheté à la Librairie du Québec, rue Gay Lussac, à deux pas de mon bureau. Et comme je faisais remarquer au libraire que cet écrivain était bien à l’honneur dans son rayon littérature, il a souligné que Gabrielle aurait eu 100 ans l’année dernière, puisqu’elle est née, à Saint-Boniface au Manitoba, en 1909 (et morte à Québec en 1983).
Au Manitoba, sa famille lutte pied à pied pour exister dans sa langue – française - une langue méprisée, cernée d’une culture autre, comme pour joindre les deux bouts. Pour en apprendre plus à son propos, je vous renvoie à cette page de François Bon qui en son Tiers Livre, de son séjour québecois, a très bien fait les choses pour donner envie de la lire. Merci à lui.
Le rapport avec l’appendicite j’y arrive : son récit d’enfance s’ouvre, à quelques pages près, sur l’opération subie à l’âge de 11 ans, événement fondateur dans la conscience qu’elle prend du monde – différent du sien – qui l’entoure. Il faut dire que La détresse et l’enchantement commence par ces mots : Quand donc ai-je pris conscience pour la première fois que j’étais, dans mon pays, d’une espèce destinée à être traitée en inférieure ? Et que le séjour à l’hôpital et l’opération que les parents se saigneront aux quatre veines pour payer est décisif dans cette perception.
A 11 ans comme Gabrielle et dans le même sentiment que mon appréhension du monde progressait de façon fulgurante du fait de cette semaine passée en clinique, j’ai été opérée de l’appendicite. Comme s’il fallait en passer par cette anesthésie générale, au réveil alors tellement pénible – c’est mieux dosé maintenant -, pour que la conscience, dans sa totalité, s’éveille enfin. L’anesthésie générale, comme préalable à un réveil général, une sorte d’ébrouement qu’on ne serait jamais allé chercher aussi loin.
Une expérience partagée, point commun entre Gabrielle et moi, parmi de nombreux autres apparus au fil de ma lecture. Par exemple : le fait que nos mères ayant déjà de nombreux enfants et surtout des filles, nous aient mises au monde au même âge tardif exactement, en terminant ainsi avec nous de leurs maternités. Et tout ce que cette position particulière dans la fratrie génère comme conséquences.
(D’ailleurs, pour en revenir à l’appendicite, ma crise s’était déclenchée en l’absence de mes parents, et mes soeurs aînées avaient pris les choses en main, faisant le nécessaire dans l’urgence qui s’imposait).
Ces opérations, qui se sont raréfiées me semble-t-il – aucun de nos fils n’y est passé -, cassaient l’ordinaire de nos jours et rompaient la marche de nos scolarités. Ce temps là, qui ne passait pas pareil, perdurait dans une dispense de gymnastique. Et malgré cela, phobie durable que ma cicatrice ne se rouvre.
A la clinique, pour la première fois de ma vie j’ai bu du thé, et alors que le personnel se désolait de devoir me faire partager une chambre d’adulte, quand je m’en réjouissais, fuyant comme je pouvais toute sociabilité enfantine, je nouais là une relation prolongée avec cette jeune femme dont il avait fallu interrompre une grossesse extra-utérine. Tous mes efforts pour me représenter cette douleur échouaient contre ma frayeur à l’idée qu’un enfant puisse ainsi prétendre pousser à l’extérieur de soi. Contre soi.
De nos ventres, de ce qu’il fallait parfois en extirper, de l’ordre social qui régnait autour de ces interventions, de ce qui pouvait s’en dire, de ce qui devait s’en taire : autant de leçons de vie accélérées.
Pour en revenir à Gabrielle Roy, que je continuerai à lire en allant chercher ses romans, (le libraire du Québec n’a pas fini de me voir), cette premier lecture me laisse – au-delà de tellement de reconnaissances -, grande ouverte une fenêtre avec vue sur le Manitoba. Je n’avais, jusqu’à la lire, pas la moindre idée de ce à quoi pouvait bien ressembler le Manitoba, de ce qu’on pouvait éprouver à vivre là-bas. Je mesure maintenant à quel point cela manquait dans mon paysage.
Ecrivant la gare en long, en large et en traverses, je suis bien obligée d’admettre que celle-ci n’est pas symétrique, quoiqu’elle en donne au premier abord l’impression. D’un côté (arrivées) un seul angle, sensiblement droit, avec le boulevard de Vaugirard, mais de l’autre (départs) deux angles obtus – me semble-t-il – successifs, avec l’avenue du Maine puis celle du Commandant Mouchotte. Je géométrise les lieux ce glacial dimanche, dernier jour de janvier, retour de Naples via Roissy et les cars d’Air France. Stationnement le long de l’immeuble à si longue façade. Des hommes aux gilets fluo surgissent qui ouvrent la panse des cars et la vident à peine qu’ils s’immobilisent. Il me faudrait un rapporteur pour en avoir le coeur net et mesurer les angles de la gare – mais pas le petit rapporteur en plastique transparent qui rentrait dans la trousse, au moins le grand jaune en bois accroché comme l’équerre à un coin du tableau. Nantie en plus d’une chaîne d’arpenteur, et de quelqu’un qui m’aide en voulant bien tenir sa deuxième extrêmité, je pourrais aussi tenter de calculer la surface du Montparnasse monde, en oubliant pour un temps ses extensions. En attendant de disposer du matériel et du renfort humain nécessaire, la seule rapporteuse de la gare, c’est moi.
Tous ces matins, comme j’attrape mon train de banlieue au vol, par la dernière porte du dernier wagon, arrivée à Paris-Montparnasse je sors de la gare côté Pasteur, comme au temps de la pièce 2071 au dessus des voies*, et poursuis ma route au moyen du bus 91 pris à son terminus. Je constate au passage que l’environnement de l’Allée de la 2e Division Blindée (qui, je le rappelle, joint le jardin Atlantique à la place des Cinq Martyrs du Lycée Buffon) a bien changé. La chaîne TV d’info en continu qui la borde d’un côté et son vis à vis l’éditeur ont personnalisé leurs façades-verrières au moyen d’autocollants grand format. Figurant le dos de livres sur des étagères dans le cas de l’éditeur, ce qui est tout sauf original. Mais surtout, les attaches vélos/scooters/motocyclettes des gens de la comm’ ont fini par évincer la double haie de campements de misères, brics et brocs, autrefois collée aux deux façades. Je me demande ce qu’il est advenu du jeune homme qui vivait là, sa tente entourée de vieux mobilier de bureau, et recevait chaque après-midi la visite d’une très jeune femme qui venait avec un bébé dans un landau. Sa compagne et son enfant j’imagine, profitant des heures de sorties autorisées par le règlement de leur foyer. Le couple assis côte à côte, sur deux chaises désarticulées de bureaux, parlait dans une langue que je n’identifiais pas, en fumant ; souvent le bébé, dans les bras de sa mère, tétait pendant ce temps là. Dans le Montparnasse monde, pour certains, la vie n’est pas rose layette.
* Voir Montparnasse Monde 7
Dans la rubrique création contemporaine du site mélico (qui veut dire Mémoire de la librairie contemporaine), mise en ligne de la suite de mes Notes de voyages avec livre.
Cette fois, après les départs du mois dernier, on arrive dans les villes. Comment en aborder 36 avec un livre (toujours le même) dont on vient parler dans son sac, quand on n’est pas franchement une globe-trotteuse … (et puisque ça m’y fait penser : les Les globe-trotters du dimanche soir sur la première chaîne quand la télé est arrivée chez nous – voir Atelier 62 p. 81 de l’édition de poche pour en savoir plus sur l’arrivée de la télé chez nous et sur quoi on la pose – j’en garde un bon souvenir, lointain, mais bon – le charme des acteurs ?)
Merci à toute l’équipe mélico pour l’accueil et je me réjouis de voisiner là bas avec Anne Savelli et ses Oloé.
Premier vendredi du mois : carte blanche à Philippe Annocque (qui, à charge de revanche, m’accueille dans ses Hublots) – c’est dans le cadre des vases communicants entre blogs et je suis très fière que l’auteur de Liquide, pour sa première participation aux opérations, s’aventure sur mes terres…
Moi aussi, l’Histoire, ça me connaît.
Encore une fois, c’est la guerre. Je viens d’être appelé. (Est-ce moi qu’ils ont appelé ? Vous n’apercevez qu’une sorte de lycéen un peu gauche. Vous avez même l’impression que je n’ai pas terminé ma croissance.)
Je viens d’être appelé, comme tout le monde. Ne me plaignez pas : je ne suis pas contre.
Je sais pourtant bien de quoi il retourne. Tous ici, tous autant que nous sommes, nous le savons parfaitement. Sans doute, comme vous, l’avons-nous appris dans les livres. Cette guerre en effet est la première : la Première Guerre mondiale, qui vient juste d’être déclarée. Nous savons donc bien comment ça finira, comment ça aura du mal à finir, comment ça n’en finira jamais.
Dans mes mains, je retourne ma convocation. C’est un petit papier cartonné rectangulaire et allongé, horizontal. Sans doute sa couleur blanc cassé est-elle censée marquer l’époque ancienne.
J’ai paraît-il la possibilité de ne pas y aller (peut-être même est-ce écrit directement sur ma convocation), de ne pas la faire, cette guerre. Peut-être puis-je, au lieu de la guerre, être affecté à une autre tâche, pourquoi pas journalistique. Une dame un peu sotte, qui me veut du bien, a tout prévu pour moi. Mais moi, vous me comprendrez sans peine, je ne veux pas d’un tel privilège ; je veux faire comme les autres.
Mon père est préoccupé. Le voici qui vient me voir, en moto, et me demande des nouvelles. Il n’est pas bien à l’aise, sur cette machine ; cela se voit tout de suite : il roule trop lentement, il zigzague.
Et voilà que je l’ai perdue, ma convocation ! Impossible de mettre la main dessus ! C’est tout de même bien ennuyeux. Je ne sais plus où je dois me rendre, ni quand. Cela a-t-il un rapport avec cette promenade en voiture, lors de laquelle M au volant quitte la route, roule sur un terrain herbeux et inégal, escalade d’abrupts monticules sous prétexte de prendre des raccourcis ?
Je ne connaissais pas Naples avant d’y être invitée la semaine dernière à parler de l’éducation musicale des filles au XVIIIe siècle au Congresso della Società Italiana delle Storiche, dans une session particulièrement sympathique et féconde, mêlant musiciennes, musicologues et historiennes, organisée par Caroline Giron-Panel.
Sortie de nos travaux académiques abrités par l’università degli Studi di Napoli Federico II j’ai aimé me mêler au grand fouillis bruyant de la ville, bien plus étendue que je ne l’imaginais et régulièrement arrosée d’averses drues dont les premières gouttes faisaient aussitôt surgir sur tous les trottoirs leur nuée de vendeurs de parapluies.
Loger à la foresteria du Centre Jean Bérard, on ne saurait plus au coeur de la vieille ville, vico S. Maria Ad Agnone, débouchant dans la via dei Tribunali, c’était éprouver la ville dans toutes ses géométries improbables. Ville à fascination agissante aussi irrésistible sur moi que celle de Venise.
Une introduction fortuite, mais évidente à sa façon, à la rencontre de l’oeuvre de William Kentridge Streets of the city, mêlant “tapisseries cartographiques”, collages et bronzes, dans son exposition au Musée de Capodimonte quand je me fixais sur ces hauteurs un rendez-vous plutôt caravagesque.
Redescendant du musée par le bus R4 sous la pluie battante et dans l’embouteillage du samedi après-midi via Toledo, à hauteur de la Piazza Dante, j’ai activé l’enregistreur du iphone et saisi quelques voix (et klaxons et tambourinement des gouttes) de Naples.
Et quittant dimanche matin la foresteria pour rejoindre l’aéroport, j’ai compris découvrant ce squelette à ma porte, la cause de la gigantesque pétarade, amplifiée par l’étroitesse du vico, entendue tard la veille au soir et dont j’avais préféré ne pas m’aventurer au dehors pour en identifier l’origine…
Merci à PCH qui m’a envoyé le lien vers le Naples d’Ernest Pignon Ernest.