Cet incroyable bleu, ce jour à 11h45.
le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735
Cet incroyable bleu, ce jour à 11h45.
Depuis qu’en gare de Paris-Montparnasse il m’arrive parfois d’embarquer pour des destinations plus ambitieuses que Sèvres Rive Gauche ou Granville, je comprends mieux un certain nombre de choses. Y compris sur un plan assez personnel. Comme l’origine de ma maladresse de voyageuse qui pourrait s’enraciner dans une enfance qui n’apprend à partir que de cette seule et unique gare, à une époque où celle-ci ne desservait encore que des terres finies, et si lentement qu’il fallait même des trains de nuit pour atteindre les plus lointaines. L’entrave restée de son horizon indépassable. Et l’angoisse qui rôde autour des guichets « départs dans l’heure », comme si une décision aussi grave se prenait dans un délai aussi court ; je ne risque pas d’avoir à faire à ceux-là. D’ailleurs, aux « départs dans l’heure », jamais la queue. Pas comme aux guichets moins regardants sur le temps que vous mettrez à vous décider. (Ce qui prouve que je ne suis pas la seule à me garder de ces départs sur le champ).
Les trains pour Granville, relégués à la dernière extrémité de la gare, sont les plus sujets à la résurgence, chez leurs passagers, de ce vieux manque de savoir voyager qui m’affecte comme d’autres natifs de la région. D’où la conjuration de ce mauvais sort par des usages ferroviaires qui nous sont propres. Battre les records d’arrivée en avance et s’installer dans le train pas encore affiché. Venir en grappe solidaire accompagner celui qui part, et l’assommer de recommandations, ou attendre celui qui arrive, et le presser de questions. A peine assis à bord, déballer ses provisions et manger bruyamment dans une totale indifférence à l’heure qu’il est comme au monde autour. Les esquilles de coquilles d’oeufs discrètement chassées de la main vers le creux entre les sièges. Se refuser à perdre de vue ses bagages, quitte à obstruer l’unique passage – et une fois même, c’était une chèvre couchée sur la plate-forme qui obstruait l’accès aux toilettes : j’ai vu cela, de mes yeux vu. Alors je souris en mon for intérieur quand la voix coupée/collée, si mal raccordée, voudrait que ce train à bord duquel j’ai pris place, et qui desservira notamment Villedieu-les-Poêles, s’appelle Intercités.
L’employée aux écritures qui n’est pas une téléspectatrice assidue, bien au contraire, passant inopinément hier soir, vers 23h45, devant un écran de TV allumé sur FR3, a vu brièvement pour la première fois à quoi ressemblait Ce soir (ou jamais!), émission très suivie jusqu’au Japon.
Et je me suis étranglée de rire et de rage en constatant que le plateau d’invités réunis sur le thème “Ils ont cent ans et ils regardent le monde” pour faire raconter le XXe siècle par des gens qui en avaient vécu au moins les trois quarts – le benjamin avait 79 ans et l’aîné 98 – comptait trois hommes pour une femme. Etonnant paradoxe démographique : trois femmes et un homme auraient été plus représentatifs de la classe d’âge.
Je suis retournée lire, assez consternée que même quand on a franchement le dessus en nombre – près de six femmes centenaires pour un homme établit l’INED -, on n’ait pas droit au moins à la parité sur un plateau de talk-show !
Plaisir à voir, aux beaux jours entre midi et trois heures de l’après-midi, les pelouses du Jardin Atlantique dressées en nappes d’un vaste pique-nique fraternel. Déjeunent côte à côte des groupes d’écoliers, grands banlieusards ou provinciaux, en voyage de fin d’année scolaire à Paris – économes à midi – et des grappes d’employés – collègues et néanmoins amis comme on dit – descendus des murs de bureaux enserrant le jardin ; prêteurs de tire-bouchons à l’occasion. Commensaux sur herbe, partagés entre chercheurs d’ombres, serrés aux pieds des arbres, et goûteurs de soleil cru, étalés, moins vêtus, face au ciel. Presque le silence. Pourtant la gare en dessous, mais juste quelques respirations perceptibles par ses ouies. Savoir et sentir sa présence. Café, si on veut, pour finir, à la cafétéria des tennis, ouverte à tous mais que bien peu des traverseurs du jardin devinent.
Je parle toujours des carrés aux lavandes, mais en fait les planches sont rectangulaires, deux, symétriques, à la naissance de l’axe central du jardin menant de la gare au demi-cercle des bureaux Nord-Pont. Au début de l’hiver, la terre en est soigneusement retournée. Au printemps, dès que les lavandes sortent de terre, le carré de gauche (quand on se tient le dos tourné à la gare, le regard vers la campagne) prend de l’avance sur celui de droite et il la gardera jusqu’au terme de la floraison. Avance qui s’explique mal, tant tout semble pareil. Même surface de plantation, même épaisseur de terre (on le suppose) importée au coeur de la minéralité du jardin, même soins, dépourvus de favoritisme, de la part de l’équipe des jardiniers – souvent des jardinières. Reste l’ensoleillement : les deux longues façades vitrées latérales au jardin déjoueraient toutes ces symétries en n’assurant pas la même réverbération ? Au détriment constant du même carré aux lavandes.
Les 19 et 20 novembre derniers, j’étais invitée à Lorient par la médiathèque et l’ACEVA inter-CE du Morbihan : Atelier 62 fait partie des 10 titres sélectionnés pour le prix littéraire inter-CE 2009.
La venue des forgerons à Lorient avait été magnifiquement préparée (merci tout le monde), puisqu’à la médiathèque étaient exposées certaines des photos faites à Billancourt, juste avant la démolition de l’usine, par Antoine Stéphani en 2003, photos cause d’un grand émoi quand je les avais vues pour la première fois “grandeur nature” dans le hall du théâtre 71 à Malakoff en novembre 2005. Ce sont aussi celles qui étaient parues, accompagnées d’un texte de François Bon, sous le titre Billancourt, aux éditions Cercle d’art en 2004. Un grand beau livre noir, carré, comme les photos.
La médiathèque, qui avait réalisé de très belles affiches avec une photo d’Antoine Stéphani (photo reproduite ci-dessus en couverture de la petite bibliographie éditée à l’occasion) vient de mettre en ligne sur son blog l’enregistrement audio de la rencontre autour d’Atelier 62 le 19 au soir, on peut l’écouter ici.
Le lendemain matin, j’étais reçue par le Comité d’entreprise de la DCN, l’accueil et la visite furent des plus sympathiques, même si sans prises de sons ni d’images (sauf celle ci-dessous !) : on est discret dans la construction navale.
Je m’aperçois maintenant que je ne dispose pas d’un vocabulaire de gare suffisant. Je manque de mots. Et dans certains cas, ceux auxquels je recours ne me satisfont qu’à moitié. Je cherche, par exemple, une expression générique qui voudrait dire mobilier urbain, mais appliqué à la gare, avec une typologie spécifique. Recoupant celle du mobilier urbain de la ville dans laquelle la gare est incluse, mais partiellement seulement, et lui imposant les extensions nécessitées par l’usage ferroviaire de cette enclave. Je peux, certes, déclarer que des bancs publics, des téléphones publics, des boîtes à lettres et des poubelles sont à la disposition des voyageurs dans les halls de la gare, mais la variété des édicules qui hérissent les quais, sans parenté sur les trottoirs parisiens, je ne saurai jamais la dire. Je n’en maîtrise pas le lexique ni la nomenclature.
Donc je désignerai, faute de mieux, sous le nom de rondelles, ces disques protecteurs qui vraisemblablement s’appellent, dans leur langue de gare, autrement. Elles s’empilent par cinq quand elles entourent des pieds de potences métalliques remplissant diverses fonctions, et dans ce cas sont moulées dans une matière qu’on devine caoutchouteuse, noir/gris poussière graisseuse. Mais par quatre quand elles perdent leur circonférence complète, se réduisent à des trois-quarts, demis, voir quarts de rondelles vissés/scellés à la base de piles en béton ou dans leurs encoignures. Découpées à l’emporte pièce dans un métal peint couleur minium, écaillé. Troisième type, beaucoup plus rare, la rondelle unique, modèle caoutchouc noir/gris poussière graisseuse, encerclant de massives colonnes de béton en bouts de quais. Si je comprends bien que ces rondelles protègent le mobilier urbain de la gare des heurts violents de tout ce qui roule sur les quais, je ne comprends pas, en revanche, pourquoi les empiler tantôt par cinq, tantôt par quatre, sans parler des solitaires.
Mis à part la récurrence d’interrogations sur les tripes et leur juste composition, les employées et les attentions aimables qu’on peut avoir à leur égard (Noël approche) et le pliage des serviettes en vue d’un dîner réussi (le réveillon de Noël approche) le mois dernier, par le truchement des moteurs de recherche, L’employée aux écritures a été saisie de quelques questions émergentes :
comment fabriquer un apéritif en novembre : personnellement, je fais comme en octobre, mais remplace les quetsches, dont ce n’est plus la saison, par des marrons et, par voie de conséquence, je fais cuire plus longtemps
le sens contraire du mot quasiment : j’avoue que je sèche lamentablement, ne parvenant même pas à imaginer que ce mot puisse avoir un sens contraire ni ce qu’il pourrait signifier
le patron d’une écharpe à coudre : la forme d’une écharpe est le plus souvent rectangulaire allongée et ne nécessite pas, de mon point de vue, le recours à un patron (mais je n’en ai jamais cousu, juste tricoté dans les années 1970, au point mousse, infiniment longues et rayées dans les tons violet/mauve/fuschia – ce que je ne saurais plus faire maintenant)
combien de femmes ecrivains en France : une petite poignée
quoi faire avec du bois de tilleul : du petit bois (la tisane se prépare avec les fleurs du tilleul, qui sentent si bon les soirs de juin)
la blonde train Sèvres rive gauche : je suis formelle, ce n’est pas moi, pourtant passagère assidue de la ligne ; les quelques mèches blondies 3 fois l’an ne sauraient prêter à confusion (sans compter qu’elles ne tiennent pas bien longtemps, surtout rapporté à leur coût)
une lettre écrite à un éditeur pour publier un sonnet : en 2007, j’ai bien écrit un certain nombre de lettres à un certain nombre d’éditeurs mais il ne s’agissait pas de publier un sonnet - juste la petite Sonnet comme dirait PB -, mais un texte plus long ; pour un seul sonnet, forme littéraire brève, je ne suis pas sûre que je me serais donné autant de peine (encore qu’un sonnet tienne sur une feuille A4 et pèse donc moins lourd qu’un manuscrit de 172 p., beaucoup plus onéreux en frais de port)
la présence de vipères à Oléron : en tout cas pas le 16 août après-midi à la librairie La pêche aux livres, ou alors elles étaient bien cachées, ailleurs dans l’île je ne sais pas, je ne la fréquente pas assez ; de façon générale je ne me soucie pas trop de leur présence, ayant l’habitude de séjourner dans des lieux montagnards où elles pullulent (je veux bien toutefois rappeler quelques règles élémentaires de prudence à leur égard : avoir de bonnes chaussures, marcher d’un pas franc – la résonance des vibrations suffisant en principe à les éloigner – et regarder s’il n’y en pas une qui dort avant de poser ses mains ou son séant sur un rocher)
un emploi maître nageur : les effectifs semblent au complet dans la piscine que je fréquente
le feuilleton sur la 3 le samedi : à ma connaissance, Montparnasse Monde n’a pas encore été adapté, mais continuez à surveiller les programmes TV, on ne sait jamais…
Je refuse de me laisser parquer banlieue, question de principe. D’où que j’arrive, parvis ou métro, je résiste aux injonctions de couper au plus court vers mon « Transilien » – pour parler comme eux. J’évite à tout prix le filtrage par la batterie de composteurs du niveau Virgin confinant, une fois franchie, au pauvre espace de relégation, rien qu’à nous, dont l’unique Relay maigrichon est fermé le samedi. Magasin de vêtements “Tout compte fait” dont je n’ai plus l’usage – ils s’arrêtent au 14 ans et à 10 ils n’en veulent déjà plus de ces habits-là – et sinistre buvette pour seules autres aménités. Ne pas se laisser piéger comme des bleus : qu’est-ce qu’on fera là si le train ne part pas ? Et le Navigo qui ne voudra pas vous rouvrir la porte dans l’autre sens, et les complications qui s’en suivront.
Partie de train restant en gare : vacherie réservée certaines heures aux banlieusards et il faudrait s’en souvenir de ces heures. Brimade propre aux voies 10 à 17 incluses. On arrive en courant - pourtant nos sacs de travail et ceux à commissions pèsent lourds – plein d’espoir encore, le signal sonore d’imminence du départ retentit, l’affichage en bout de quai tourne la page (chaque petite plaque de lettre défilant alphabétiquement pour composer la prochaine destination ou provenance) et c’est pour buter – sans plus aucun souffle – sur cette misérable potence. Comprendre qu’il est trop tard pour atteindre l’autre moitié du train qui, elle seule, non solidaire de la partie caudale du convoi, s’ébranlera. Et qu’il ne reste plus qu’à aller se faire pendre ailleurs.
L’écriture de Fabienne Swiatly, avec des mots juste ce qu’il en faut, touche toujours au plus humain, résonne vrai, et nous aide à nous regarder dans nos conditions partagées, pas forcément choisies.
Qu’elle parle de Gagner sa vie et ce qu’il en coûte, raconte ses “années en 8” ou signe simplement la lettre de remue.net – et dans ce cas je sais dès que je l’ouvre que c’est elle qui l’a écrite sans avoir besoin de vérifier tout en bas de la missive – l’indifférence à ce qu’elle nous dit est impossible.
Récemment, outre Jusqu’où cette ville dans la collection numérique publie.net, Fabienne Swiatly a publié deux livres en papier : Boire (éditions TerreNoire) que je n’ai pas encore lu et Une femme allemande (éditions La fosse aux ours) que j’ai lu récemment dans un train, le temps d’un aller/retour entre Paris et Vernon.
La femme allemande est une femme transplantée de l’autre côté de la frontière au mauvais moment, le ventre trop souvent rond, et qui n’imaginait pas la vie avec l’homme vainqueur qu’elle a suivi et les siens. Une femme qui pose de temps en temps sa brosse, sa serpillière et son sceau pour fumer, appuyée dos au mur, et chanter le jour ou la pluie viendra. Une femme qui porte des tabliers à carreaux, rêve un temps à mieux, et puis non, finalement, c’est sa vie, ce silence, cet engourdissement.
Une femme qu’on voit, au début du livre, adolescente fouillant les décombres de sa ville, comme aurait pu nous la montrer un Rossellini, et plus tard, rompue, un Fassbinder. Un personnage et des images aussi forts que les leurs, juste au moyen des mots nécessaires, ni plus, ni moins.
Depuis peu Fabienne Swiatly écrit sur son site, très beau, la trace bleue, des mots d’usines, des mots à propos des ateliers d’écriture qu’elle anime et d’autres encore. Profitez donc de son petit temps de pause obligée ces jours-ci pour aller tout rattraper depuis le début si vous ne suivez pas encore son travail sur toile.
Et puis lisez ses si beaux livres.
L’employée aux écritures, qui souhaite rester professionnellement performante, a suivi aujourd’hui une journée d’information sur l’édition électronique en sciences humaines et sociales, organisée par le service formation de son employeur.
Il y était beaucoup question de digital humanities pour reprendre le terme utilisé par nos collègues anglo-saxons, plus engagés que nous sur le terrain de ces « humanités numériques » . Je me suis réjouie que cette journée rencontre un si grand succès qu’on a dû refuser du monde pour s’en tenir aux 90 places qu’offrait la salle dans laquelle se déroulaient les présentations, signe de la curiosité, et plus si affinités, d’une partie de mes collègues pour ces questions.
Mais ce qui était tout à fait remarquable, c’est que ce public était aux 4/5e féminin, et même si cela sautait moins évidemment aux yeux, relevait comme moi très majoritairement des catégories de personnel ITA (Ingénieurs, Techniciens, Administratifs) vouées à « accompagner » la recherche. On notera au passage que la féminité et le statut ITA font très bon ménage puisque le dernier bilan social du CNRS dont les chiffres sont accessibles, celui de 2006, fait état de 31,5 % de femmes chez les chercheurs – taux de longue date stagnant -, pour 51,8 % chez les ITA.
Messieurs les éminents chercheurs de nos disciplines ne se bousculaient donc pas au portillon de cette journée ouverte à tous… Et c’est bien regrettable parce qu’au sein des laboratoires de SHS, faire progresser les pratiques de circulation de l’information émanant des différentes équipes (par exemple grâce à la plate-forme Hypothèses destinée à l’accueil de blogs/carnets de recherche dont j’irai bientôt apprendre à me servir), améliorer la rapide mise à disposition par captations audio/vidéo des journées d’études organisées par les uns et les autres, ne plus attendre 3 ans pour publier sur du papier à tout prix les actes d’un colloque ou déposer ses travaux pre-print en archives ouvertes, passe par la familiarisation de tous avec les usages et les outils de l’édition numérique.