L’employée aux écritures a toujours été maniaque du courrier en papier, chair et os de facteur. Lettres que l’on glisse dans la fente d’une boîte jaune sur la voie publique, enveloppes parfois gardées en poche un certain temps avant de trouver la fameuse boîte parce que “pour raison de sécurité” – de qui de quoi ? – nombre d’entre elles sont condamnées ; lettres que leurs destinataires récupèrent, le lendemain si tout va bien, dans leur boîte personnelle de couleurs et formats disparates, dénominateur commun la petite clef pour l’ouvrir. Mon attachement au courrier et aux services postaux étant possiblement lié à certains de mes travaux d’historiennes reposant sur l’étude de correspondances échangées au XVIIIe siècle, par Geneviève Randon de Malboissière avec son amie Adélaïde Méliand ou par Manon Phlipon (future Madame Roland) avec ses amies de pension Sophie et Henriette Cannet, par exemple. Autre hypothèse quant à l’origine de cet attachement : mes espoirs longuement entretenus et quotidiennement déçus, avant que ma carrière tardive prenne enfin forme par voie de procédure classique de recrutement dans l’enseignement supérieur et la recherche, de trouver au courrier la lettre d’un chasseur de têtes qui m’aurait dénichée. J’ai écrit autrefois un petit texte à ce propos confié au blog ami “Pendant le week-end”.
Ce premier janvier 2023, la Poste retire de la circulation le timbre rouge qui permettait, en principe, que nos missives parviennent le lendemain à leurs correpondants. Une victime de plus de la dématérialisation forcenée de nos affaires courantes. La procédure s’y substituant est des plus complexe, j’en retiens qu’au bout du compte c’est la Poste elle-même qui imprimera et mettra sous enveloppe nos précieux mots dans son centre de distribution le plus proche du lieu de destination de la lettre, ceci pour éviter d’avoir à la transporter sur des kilomètres coûteux en moyens humains et en bilan carbone. Disent-ils.
Le principe est de saisir le texte de sa lettre, si l’on ne le trouve pas tout fait dans l’un des 200 modèles prêts à l’usage gentiment mis à notre disposition, chez soi sur son ordinateur, son téléphone ou, faute de ces outils ou d’habileté à s’en servir, en allant demander de l’aide au bureau ou à l’agence postale. La Poste se charge du reste : impression sur papier et enveloppe offerts en prime, puis acheminement. Le tout pour 1,49 € si vous ne vous épanchez pas sur plus de 3 feuilles – comptez un supplément de 30 centimes pour la couleur.
J’avoue que tout cela me déplaît profondément au moins pour trois raisons. Premièrement, le présupposé que le maniement des claviers et des écrans est une compétence universelle ou quasi et qu’en attendant l’extinction naturelle des derniers réfractaires ceux-ci ont forcément de l’aide dans leur entourage ou les moyens de se déplacer pour en trouver. Deuxièmement, l’intrusion de tiers entre les correspondants et le fait que toute lettre procédant de cette matérialisation finale aux bons soins de la Poste relève de la “lettre ouverte”. Troisièmement, quid des larmes, des mèches de cheveux, des fleurs séchées dont tant de lettres urgentes pour leurs expéditeurs et expéditrices ont été porteuses : la Poste prévoit-elle leur impression en 3D ? Avec supplément comme pour la couleur ? Cette réforme du 1er janvier 2023 signe, mine de rien, l’arrêt de mort du “courrier du coeur”.
NB 1 Je ne suis pas la seule, bien loin de là, à m’émouvoir de la mort du timbre rouge.