Ces temps-ci un homme, pas jeune, vient souvent dormir sur un banc entre contre-allée et boulevard. Il glisse un semblant d’oreiller sous sa tête et pose sur lui une large couverture de laine rose format lit pour deux personnes dont les pans flottent de chaque côté du banc. Il ne s’enveloppe pas et personne pour le border. Au pied du banc, posés, deux grands sacs plastiques dans lesquels il rangera son attirail une fois son somme fait, avant de disparaître du quartier aussi discrètement qu’il y est apparu. A certaines heures du jour et en fonction de l’ensoleillement, l’homme qui n’est pas remarquable sauf quand il dort sous sa couverture rose, se reflète dans la vitrine de l’une des nombreuses officines de pompes funèbres – j’en compte sept dans un rayon de moins de 5 minutes à pied – ceinturant les deux hôpitaux du quartier. (Profusion d’offre de services qui laisserait à penser quant à la confiance relative accordée à ces établissements). Sous un certain angle l’homme couché se reflète en surimpression des panneaux muraux latéraux de la boutique exposant au choix du client la gamme des cercueils et de leurs habillages. Du satin, de la soie qui sait ? Du doux et du moelleux dans une débauche de coussinets et de petits volants. Fugitive mais troublante surimpression du dormeur du banc au sommeil dépouillé de tout égard et des petits soins garantis au sommeil éternel par la Maison R*** qui sait y faire depuis le temps qu’elle bichonne chèrement les chers disparus. Paradoxe de ce confort, aussi vain que dispendieux, offert au repos des morts quand tant de vivants dorment aujourd’hui à la rue, la nuit le jour, comme et où ils peuvent, dans la ville.