Dans la gare, les kiosques déclinent Ouest France dans toutes ses éditions, du moins en début de journée : le nombre d’exemplaires proposé de chaque version est relativement restreint alors l’éventail se resserre au fil des heures. Feuilletage fébrile des coins supérieurs gauches des journaux, rangés pliés en quinquonce sur les présentoirs, jusqu’à en extirper celui qui vous parlera vraiment de vous. C’est à l’occasion des décès dans les familles bretonnes ou normandes dont une génération précédente a migré vers la capitale que cette opportunité est la plus précieuse. Le jour de la parution de l’annonce dans le journal – qui ne saurait être que celui-là – courir à la gare faire la tournée des kiosques pour acheter le nombre d’exemplaires permettant à chaque proche de l’archiver. Une mission qui m’a été confiée plusieurs fois, concernant la variante Bocage Sud – qui n’existe plus, le bocage du Domfrontais est désormais couvert par une édition au périmètre élargi baptisée sobrement Orne -, avec un exemplaire en moins à acheter à chaque fois. La gare, lieu de passage obligé dans la réalisation de nos morts.
Dans la gare des choses apparaissent, se transforment et disparaissent sans qu’on s’en aperçoive – seulement après coup et personne pour dire alors quand ça s’est passé. Cherchant à y photographier un bel étalage de Ouest France, je m’aperçois qu’on ne trouve plus ce leader de la PQR (pour parler comme l’OJD), dans tous les kiosques et, incidemment, que le magasin de vêtements 0-14 ans « Tout compte fait », niveau parvis secteur banlieue, évoqué dans ces colonnes il n’y a pas si longtemps* a laissé place à une parapharmacie. Sans prévenir, mais probablement suite à une étude de marché qui aura montré que tous les enfants des Transiliens avaient grandi et que le mood n’était pas à en lancer d’autres sur des rails incertains. Mais qu’en revanche les parents de ceux qu’on avait un temps habillé là avaient besoin à leur tour qu’on prenne soin d’eux, qu’on les embellisse, qu’on les illusionne. Je demande autour de moi : personne ne sait à quand remonte cette métamorphose commerciale – ni au juste, ni approximativement. Que des gens qui ont pourtant, comme moi, un usage quotidien de la gare. Si le monde Montparnasse se déplace en même temps que je l’écris, je n’aurai jamais fini.
* Voir Montparnasse Monde 11