L'employée aux écritures

le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735

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"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux

Des auteurs chez Louis-Sébastien Mercier

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Posted by ms on 31 décembre 2010 at 12:55

La lecture du texte de François Bon sur Tiers Livre Un petit souci avec Balzac et les contributions qui s’y greffent m’y font penser : reprenant le Tableau de Paris de Mercier récemment, et y vagabondant, j’en avais extrait plusieurs passages évoquant les auteurs et leur condition, notamment matérielle. Je les livre ici comme pièces rétroactives au débat et cela me permet d’étrenner la nouvelle maquette du blog (je ne savais pas quoi écrire pour le reprendre en mains dans sa nouvelle grande largeur !)

T.2 vol.1, p. 331-336. Chapitre CXXXVII Auteurs

A Paris sont ces écrivains qui moissonnent et qui vendangent avec leur plume, qui ont dans leurs écritoires toutes leurs terres et toutes leurs rentes. (…) Les pensions que le gouvernement accorde aux gens de lettres ne se donnent ni aux plus pauvres, ni à ceux qui ont le plus utilement travaillé. Les plus souples, les plus intrigants, les plus importuns, enlèvent ce que d’autres se contentent d’avoir mérité au fond de leur cabinet.

La pauvreté de l’homme de lettres est à coup sûr un titre de vertu, et une preuve du moins qu’il n’a jamais avili ni sa personne, ni sa plume. (…)

Les gens de lettres emploient ordinairement la matinée au travail, et ils ont tort ; la composition du soir a beaucoup plus de feu : mais les spectacles et les dissipations journalières tuent le génie, et l’empêchent de suivre de grands travaux. (…).

T.2 vol.1, p. 336-339. Chapitre CXXXVIII Des demi-auteurs, quarts d’auteurs, enfin métis quarterons, etc

Tels sont ceux qui versent dans les Mercures et dans les journaux, ou de petits vers innocents, ou des morceaux de prose niais, ou des critiques sans lumière et sans sel, et qui s’arrogent ensuite dans les sociétés le titre d’hommes de lettres. (…)

T.8 vol.2, p. 318-324. Chapitre DCXXII Trente écrivains en France, pas davantage

(…) de fait, il n’y a point en France plus de trente écrivains constamment livrés à leur art. Le dégoût, la sécheresse, l’indigence, la crainte des persécutions, et surtout la paresse, font sortir les trois quarts et demi de la carrière, dès qu’ils y ont fait les premiers pas. Ils se jettent dans le chemin battu de la fortune. Plusieurs écrivains, même célèbres, n’entretiennent leur renommée que par quelques ouvrages, semés à de prudents intervalles. Or qu’est-ce que trente hommes faisant profession ouverte de ces honorables travaux, au milieu d’une nation composée de plus de vingt millions d’hommes ?

Les écrivains seraient dix fois plus nombreux qu’ils mériteraient encore d’être considérés : car sous quelque rapport qu’on les envisage, ils sont utiles. (…) Tout lecteur doit de la reconnaissance à tout auteur. celui qui ne lit pas doit savoir encore que la langue, la société et les moeurs doivent infiniment à la classe des écrivains.

T.10 vol.2, p. 1009-1013. Chapitre DCXXII Femmes-auteurs

Dès que les femmes publient leurs ouvrages, elles ont d’abord contre elles la plus grande partie de leur sexe, et bientôt presque tous les hommes. (…) Une femme qui écrit doit faire exception, on en conviendra ; car les devoirs d’amante, d’épouse, de mère, de sœur, d’amie, souffrent toujours un peu de ces ingénieuses distractions de l’esprit, et l’homme tremble que les qualités du cœur ne viennent à se refroidir au milieu de l’enchantement de la renommée. (…)

Encore, si les femmes s’emparaient de la science ; mais non, elles prennent les légéretés, les finesses, le sentiment, les grâces originales de l’imagination, le peinture de nos défauts, et elles font tout cela sans études, sans collèges, et sans académie.

T.11 vol.2, p. 1260-1262. Chapitre CMXXXVIII Misère des auteurs

La plus déplorable des conditions, c’est de cultiver les lettres sans fortune, et voilà le partage du plus grand nombre des littérateurs ; ils sont presque tous aux prises avec l’infortune ; il en résulte un débat éternel entre la hauteur, la noblesse des idées, et les besoins impérieux et avilissants ; c’est un supplice journalier, un tourment insupportable ; il faut bientôt qu’il tue l’homme ou son génie. (…)  Ah ! loin de cette carrière, vous qui ne voulez pas connaître l’infortune et l’humiliation, ou arrangez vous pour ne pas vieillir, et mourez de bonne heure.

Comme les extraits précédemment proposés sur le blog, c’est la réédition dirigée par Jean-Claude Bonnet parue au Mercure de France en 1994 que j’ai utilisée. J’ai respecté les chapitres et leurs intitulés mais pas forcément le découpage des paragraphes, pour ne pas morceler à l’extrême ; toutes les coupes sont indiquées par (…).

Filed under du XVIIIe siècle
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2 Comments

  • On 31 décembre 2010 at 18:55 PhA said

    Vous avez poussé les murs ?

    “Le dégoût, la sécheresse, l’indigence, la crainte des persécutions, et surtout la paresse, font sortir les trois quarts et demi de la carrière, dès qu’ils y ont fait les premiers pas. Ils se jettent dans le chemin battu de la fortune. Plusieurs écrivains, même célèbres, n’entretiennent leur renommée que par quelques ouvrages, semés à de prudents intervalles”, ça parle terriblement.

  • On 31 décembre 2010 at 19:00 ms said

    Ah, vous les reconnaissez vous aussi, vous les voyez par vos hublots sans doute.
    Oui j’ai poussé les murs sur les côtés (j’y pensais depuis longtemps : quelle affaire !) et j’ai les coudées plus franches pour aborder 2011 (que je vous souhaite bien à vôtre goût)

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