L'employée aux écritures

le blog de Martine Sonnet – ISSN : 2267-8735

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"Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?" Henri Michaux

D’azur et d’acier – livre briqué de Lucien Suel

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Posted by ms on 7 octobre 2010 at 18:15

De Fives, je connaissais le nom inscrit dans la litanie Caulier, Fives, Marbrerie, Pont de Bois stations de la ligne 1 du métro lillois dans lequel on s’engouffre arrivant en TGV  de Paris pour rejoindre au plus vite le campus universitaire de Villeneuve d’Ascq.

Noms de lieux sous lesquels on passe sans en voir les couleurs, mais grâce à Lucien Suel je sais maintenant, pour Fives, que c’est D’azur et d’acier (pour parler comme un blason), mais aussi et surtout de brique. Tellement de briques, même, qu’il faut à la mise en page et à la typographie de son livre D’azur et d’acier savoir les empiler.

Lucien Suel a séjourné trois mois d’hiver en résidence d’écrivain à Fives, commune absorbée par la communauté urbaine lilloise, mais qui garde la distinction de son passé industriel chevillée à l’âme. Pas n’importe quel passé : à Fives, longtemps a mugi une usine dans laquelle on fabriquait des locomotives, de celles qui ont fait briller les rails sur les prairies les plus lointaines et cinématographiques, jusqu’au Far West.

Fabriquer des locomotives (des ponts et des ascenseurs aussi), ça vous classe et vous occupe une ville, surtout quand on en fabrique pendant 150 ans. Aussi, quand la production s’arrête, il vous reste

un coeur qui ne bat plus, un coeur en capilotade et un cerveau dispersé avec tous ceux qui ont travaillé ici, dont le vaste savoir-faire n’a été enseigné ou transmis à quiconque

(parmi eux, un certain Degeyter, le musicien de L’Internationale) et l’usine FCB, pour Fives-Cail-Babcock, – un concentré de puissance et d’intelligence – emprise muette et stérile contenue derrière son mur d’enceinte : 5 mètres de hauteur, en briques.  En faire quoi ?

Alchimie heureuse du quotidien de l’écrivain résident (jusqu’au bifteck dans le frigo), d’une enquête sur le passé de l’usine et de la commune, de la rencontre de son présent, en causant avec celles et ceux qui l’entourent, en lisant le Canard de Fives, en marchant, en furetant, en se frottant par tous les pores à la ville, et de la “réduction” poétique des briques  omniprésentes, le livre procure un singulier bonheur de lecture.

Et ce n’est pas tout : les éditions La contre allée proposent sur leur site un complément audio  à télécharger livre en main. Une petite merveille d’intelligence et de poésie croisant la voix de Lucien Suel et l’accordéon diatonique de Laure Chailloux. En complémentarité parfaite avec un livre bel objet.

Je crois bien que la prochaine fois que je roulerai en métro vers Villeneuve-d’Ascq, à Fives, je remonterai à l’air libre mettre mes pas dans ceux de Lucien Suel à la rencontre des orphelins des locomotives, privés encore du souffle de l’usine qui les portait au monde.

De Lucien Suel j’avais déjà beaucoup aimé Mort d’un jardinier et La patience de Mauricette, avec leurs couvertures à objets (brouette, panier) à la Table ronde. A suivre encore, sa présence blog et texte numérique, aussi avec Josiane Suel, chez publie.net.

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5 Comments

  • On 9 octobre 2010 at 17:00 Pierre said

    J’ai également lu ce livre. Je suis heureux de voir que vous aussi, et la chronique que vous en faites me ravi. Au sortir des dernières manifestations avec lesquelles j’ai naturellement marché, j’ai de ce livre quelques phrases qui résonnent en tête qui me semblent décidément à propos. Quand la littérature regarde son époque sans détour, s’attarde sur l’histoire des hommes, elle reste décidément la clef de lecture la plus appropriée pour comprendre son monde et nous enseigner – nous rappeler ? – d’où l’on vient et où l’on va si l’on garde la même trajectoire… Je n’ai guère le talent de prédiction, mais ce livre ressemble (rassemble) en tout point à ceux qui ont traversé les temps. C’est heureux, un livre comme celui là. Pas tant pour ce qu’il nous raconte mais pour ce qu’il nous donne à entendre de nous. Merci.

  • On 9 octobre 2010 at 17:17 ms said

    Et merci à vous pour votre lecture et commentaire ; c’est un livre à la fois d’actualité et de poésie, d’où sa grande singularité.

  • On 10 octobre 2010 at 9:51 PhA said

    Souvenirs :
    - récemment, j’ai beaucoup aimé aussi La patience de Mauricette,
    - beaucoup moins récemment, j’ai enseigné au Collège Pierre de Geyter – mais c’était à Saint-Denis (souvenirs contrastés, mais forts).

  • On 11 octobre 2010 at 10:55 gilda said

    Voilà qui donne envie.

  • On 15 octobre 2010 at 8:45 David Marsac said

    Votre regard sur Suel me donne envie de prolonger mes brèves approches du poète, dont j’ai lu aux Editions Pierre Mainard, Un trou dans le monde. J’en profite pour signaler le dernier numéro de la revue Dissonances, d’octobre 2010, qui consacre à Suel sa rubrique “Questions à”.

    http://revuedissonances.over-blog.com/

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