Essai d’autobio – bibliothéco – graphie


en 20 bibliothèques




écrit pour les 20 ans de celle de Privas

 

I. 1965 J’ai dix ans et la Joie par les livres, ma bibliothèque ombilicale, ouvre juste sous mes fenêtres, cité de la Plaine à Clamart. On se déchausse pour entrer et plus de 40 ans et 20 bibliothèques plus tard je me déchausse toujours mentalement quand j’entre dans une bibliothèque, même si les autres manquent de casiers à chaussures. 1972, retour à la Joie par les livres, mais de l’autre côté du miroir : premier job d’été. J’accède au saint des saints des bureaux et de la cuisine des bibliothécaires où l’on prend le thé à cinq heures.

II. 1974, Etudiante en deuxième année d’histoire à Jussieu et à mi-temps « agent saisonnier », à la réserve des livres rares et précieux de la bibliothèque Sainte-Geneviève, place du Panthéon ; ma saison dans ses boiseries durera deux ans. J'intègre dans les magasins de la réserve tous les livres antérieurs à 1800 retirés des rayons ordinaires. Au passage, j'inscris leurs titres sur un grand registre noir.


III. 1976 Munie d’une lettre de recommandation de mon maître Daniel Roche, et toute fière, je me fais établir une carte de lectrice à la Bibliothèque nationale, 58 rue de Richelieu, pour y consulter les almanachs parus pendant la Révolution française, sujets de ma maîtrise. Début d’une longue histoire d’amour avec cette bibliothèque que j’adopte même comme grand-mère spirituelle (je n'ai jamais connu aucun de mes grands-parents). Comme j'ai fini d'inscrire les vieux livres de Sainte-Geneviève sur le registre noir, je deviens « collaboratrice occasionnelle à mi-temps » à la BN, salle des catalogues, avec pour mission d’y intercaler des fiches dans les fichiers auteurs. Paulette Perec (épouse de Georges), conservatrice à grandes nattes, cornaque sympathiquement l’équipe d’étudiants/intercaleurs qui s’entendent comme larrons en foire. Nous acquerrons tous une grande maîtrise de l’ordre alphabétique et une belle dextérité au maniement des petites fiches cartonnées 75X125.

IV. V. VI. 1978 Ma thèse sur « L’éducation des filles à Paris au XVIIIe siècle » m’entraîne dans toutes les grandes bibliothèques parisiennes à fond anciens. Mon portefeuille grossit de l’épaisseur des cartes de lectrice de la Bibliothèque historique de la ville de Paris, de la Mazarine, et de l’Arsenal. Pendant cinq ans, mes jourrnées se partageront entre  leurs salles de lectures, celles de la BN et la salle Clisson des Archives nationales.

X. XI 1981 Le Service d’histoire de l’éducation de l’Insitut national de recherche pédagogique me confie la rédaction de sa bibliographie qui paraît tous les ans dans sa revue Histoire de l’éducation. La bibliothèque de l’INRP compte en son personnel quelques drôles d’énergumènes dont une employée ectoplasmique reconnue épanouie et volubile des années plus tard à la BnF – je penserai alors que sa métamorphose est  un heureux effet paradoxal de la redoutable architecture de Dominique Perrault. Je fréquente aussi assidument la bibliothèque de la Maison des Sciences de l’Homme, riche en revues étrangères, mais au personnel plus conventionnel.

VII. VIII. IX. 1980 Le retard dans l’intercalation des fiches à la BN a été résorbé grâce à la redoutable efficacité de l’équipe perecquienne. Nos contrats ne sont pas renouvelés. En attendant mieux, je vis chichement de vacations à droite et à gauche : je dépouille notamment des revues pour une équipe de recherche du CNRS qui travaille sur le suréalisme ; je fais connaissance avec la Bibliothèque de la Sorbonne, la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet et la Bibliothèque d’art et d’archéologie de la rue Michelet .

XII. 1984 Un colloque international d’historiens des Lumières et de l’éducation qui se tient dans la Herzog August Bibliothek de Wolfenbuttel en Basse-Saxe, magnifique bibliothèque ducale du XVIIIe siècle, est à l’origine d’une rencontre fulgurante avec un collègue étranger : je me prends un temps pour une héroïne de  David Lodge.

XIII. XIV. 1990 Assagie, je fréquente des bibliothèques pieuses, celle des dominicains du Saulchoir, rue de la Glacière – qui était la préférée, parmi les bibliothèques parisiennes, de Michel Foucault paraît-il – et celle de l’Institut catholique, rue d’Assas, où je suis chargée de cours. Je complète ma poignée d’heures d’enseignement en écrivant des textes pour une série d’émissions de télévision traçant, en 7 minutes, chaque dimanche après la messe le portrait d’une grande figure de la chrétienté. J’apprends à écrire court et vite.

XV. 1995 Le CNRS place sous ma bonne garde l’équipe élaborant la Bibliographie annuelle de l’histoire de France. Retour à temps plein rue de Richelieu, hébergée par le département des périodiques de la vieille BN - dite maintenant « nationale » et « de France » redondance qui m’agace un peu -, hébergeant traditionnellement les bibliographes dans un de ses bureaux. Il me faut rapidement préparer le déménagement de notre équipe sur le nouveau site de la BnF, la Bibliothèque François Mitterrand, quai François Mauriac. Juste avant de partir, je récupère des graines des roses trémières du jardin Vivienne de la BN que je sème dans mon jardinet normand : elles prospèrent

XVI. 1998 Parce que la vie de bibliothèque n’empêche pas la vie de famille, je fréquente régulièrement la bibliothèque municipale annexe de la Fourche, à deux pas de chez nous. Les mardis et vendredis soir je récupère là vers 17h30 nos enfants qui y viennent tous seuls depuis leur école. C’est pratique et eux préfère cette formule à celle de l’étude ou de la garderie, réservée aux lundis et jeudis, jours de fermeture de la bibliothèque.

XVII. 2004 Je m’ennuie un peu en la compagnie professionnelle exclusive des historiens et rejoins, pour changer un peu, une petite mission de recherche interdisciplinaire commune aux ministères sociaux, dirigée par un humaniste amoureux des lettres, Pierre Strobel. C’est l’occasion de découvrir la très belle bibliothèque du ministère de la Santé, récemment restaurée dans son état art déco d’origine.

XVIII. 2007 Je trouve un éditeur pour le texte que je me suis enfin autorisée à écrire à la première personne et que je considère comme mon vrai premier livre. En décembre, je participe à un stage d’écriture à la médiathèque de Lisieux dont j'apprécie l'ambiance, même si en deux jours j'écris trois fois rien.


XIX. XX. 2008 Je rejoins l’Institut d’histoire moderne contemporaine, labo CNRS installé dans les murs de l’Ecole normale supérieure, rue d’Ulm. J’ai accès à la prestigieuse bibliothèque de l’ENS, fréquentée du temps qu’ils y étaient élèves par quelques écrivains qui me sont chers, en particulier Julien Gracq et Pierre Bergounioux. Mon Atelier 62 sorti en janvier me vaut d’être invitée à Privas en juin, par la librairie Lafontaine et la médiathèque ; nous partageons là de belles heures autour des livres et j’apprends que la médiathèque de Privas aura bientôt 20 ans. Je lui souhaite un très heureux anniversaire.


copyright Martine Sonnet

retourner Sur les bords

revenir à l’accueil/plan du site

pousser la porte du Montparnasse monde

passer dans l’Atelier 62

passer à l’accueil historienne

passer voir L’employée aux écritures

Pour ses 20 ans, la médiathèque de Privas a demandé à quelques auteurs amis d’écrire un texte dans lequel il soit question de bibliothèques et du nombre 20